Paris, le samedi 5 janvier 2019 – Il n’est pas inutile de signaler la disparition des arlésiennes – disparition qui incite en effet à ne pas toujours désespérer. En 2018, un exemple typique d’arlésienne s’est évanoui : l’Assurance maladie a fini par fixer des tarifs pour les actes de télémédecine. Le sujet était discuté depuis tant d’années que certains représentants syndicaux doutaient de voir une décision prise avant la fin de leur carrière. Pourtant, un dispositif a été acté. Cette issue inattendue n’est cependant pas un blanc-seing sans nuance accordé à la télémédecine. La pratique est en effet encore loin de susciter une adhésion généralisée. Un sondage réalisé sur notre site du 17 octobre au 10 décembre auprès de 730 professionnels de santé a en effet révélé que seuls 20 % d’entre eux envisagent de réaliser des actes de télémédecine dans les douze prochains moins. Loin d’un plébiscite.
Ceci n’est pas une consultation médicale (ou alors pipée)
Les raisons de cette frilosité sont probablement multiples. Au-delà des considérations pratiques et technologiques, l’hostilité est parfois plus philosophique. On a retrouvé cette attitude exprimée sur certains blogs. Ainsi, le docteur François-Marie Michaut sur son blog La lettre d’expression médicale analysait et déplorait récemment : « La coqueluche des promoteurs de la pratique médicale de demain a pour nom la télémédecine. Soigner à distance, telle est l’ambition. (…) Avons-nous oublié que la rencontre avec un soignant nécessite tout un processus social ? Contact téléphonique avec le cabinet pour exposer rapidement son attente, négociation de la réponse apportée pour fixer les modalités de la rencontre au cabinet ou à domicile. Ce cérémonial n’est pas neutre (…). Pensez-vous que seule l’image d’écran tronquée du médecin que vous n’avez jamais rencontré auparavant peut vous suffire pour établir un contact humain vrai avec lui/elle ? Tenons-nous pour quantités négligeables le contact de la poignée de main et de l’examen clinique ? Les informations véhiculées par les odeurs émises ou perçues, l’expression corporelle des gens en face à face n’ont vraiment aucun rôle dans l’établissement d’une relation authentique ? Simples détails diront certains. Ont-ils compris que les émotions sont indissociables de toute intervention à visée thérapeutique ? Et que la froide analyse des symptômes se voulant scientifiquement objective est une voie sans issue. Comment peut bien fonctionner dans sa tête le médecin pratiquant la télémédecine quand il ne partage aucune histoire commune avec le patient, aucune connaissance concrète de sa personne ? Il est obligé de se conformer à une méthode d’investigation standard, n’étant pas très éloignée dans son principe de la check list du pilote d’avion. Ou des classiques et réputés pédagogiques arbres de décision. Les pratiquants de cet exercice sont contraints, pour ne pas s’égarer dans l’inconnu, de se fier totalement aux algorithmes des enseignements qu’ils ont reçus de leurs maîtres. (…) Il n’est pas évident de faire comprendre à des non médecins quelle est la différence entre une rencontre médicale directe et une séance de télémédecine. Le résultat apparent est le même : la production d’un diagnostic et la prescription d’un traitement. Subordonnés aux écrans numériques que nous sommes devenus, un parallèle simple peut nous éclairer. Chacun sait ce qu’est la téléréalité, cette mise en scène par des gens de spectacle de situations tirées de la vraie vie des vrais gens. La téléréalité a l’apparence de la réalité, juste rendue plus spectaculaire pour être plus attrayante. Mais, comme la pipe de Magritte, elle n’est pas la réalité » conclut le praticien. Si cette vision de la médecine, concentrée sur la relation humaine est partagée par beaucoup, elle renvoie cependant à une perception potentiellement idéalisée, à l’heure où l’engorgement des cabinets (qui pourrait être corrigé par la télémédecine !) empêche le déploiement de ce type de contacts. Par ailleurs, elle tend à opposer une médecine scientifique reposant sur les algorithmes diagnostics et une médecine humaniste et intuitive, quand ces deux approches ne s’excluent pas l’une l’autre.
Consultations virtuelles sous le sapin
Quand elle ne s’inquiète pas de la disparition du contact humain (contact qui cependant ne se résume pas à la proximité physique et qui persiste sous une autre forme dans la télémédecine), la critique vise parfois l’aspect commercial de la télémédecine, alors que déjà l’Ordre des médecins a épinglé quelques pratiques douteuses. Ainsi, Jean-Yves Nau a-t-il récemment moqué une initiative du groupe MesDocteurs.com avant les fêtes de fin d’année. « Noël arrive à très grands pas et beaucoup de Français profitent de cette période des fêtes pour se retrouver en famille. Mais entre le froid, la neige ou la fatigue accumulée de l’année, c’est également à ce moment que beaucoup tombent malades. Grâce à MesDocteurs.com, l’unique plateforme interactive de téléconseil et de téléconsultation médicale en France, docteurs et spécialistes répondent 7 j/7, 24 h/24, sans prise de rendez-vous ou de délai d’attente de diagnostic, à toutes les questions d’ordre médical » cite le médecin et journaliste sur son blog qui ironise sur cette promesse de pouvoir offrir à Noël « des téléconsultations médicales : 6 euros la question, 2 euros la minute ».
Un temps précieux pour la réflexion clinique
Personne ne veut être dupe de ces considérations financières inextricablement associées au développement de la télémédecine. Le docteur Luc Perino, sur son blog Expertise clinique hébergé par Le Monde remarquait ainsi il y a quelques mois « La télémédecine est promue par les géants de l’informatique qui en ont évalué le marché ; elle présente l’avantage de la délocalisation géographique qui facilite l’évasion fiscale dont ils sont friands ». Cependant, le praticien accepte de ne pas s’en tenir à cet aspect : « Ce n’est pas notre affaire de médecin que d’évaluer ce que l’Etat perdra lorsque les cotisations sociales ne lui reviendront plus sous forme d’impôt » juge-t-il. Le praticien qui rappelle que la télémédecine est loin d’être une totale innovation (« Quand les cliniciens se sont éloignés du lit (kliné) d’un malade pour faire de la « paraclinique » (analyses, radios, etc.), ils ont fait de la télémédecine. Omnipraticiens et régulateurs de centre 15 font de la télémédecine en décryptant les angoisses et en prodiguant leurs conseils de patience au téléphone. La télémédecine plus moderne n’a rien de très novateur. Lire le résultat d’un scanner interprété en Inde ne change rien au principe du scanner » relève-t-il. Il veut croire que cette pratique pourrait « redonner tout son poids à la réflexion clinique. Imaginez que nous ne perdions plus de temps à interpréter de longues analyses et à en convertir les unités, à établir d’inutiles certificats médicaux pour des assureurs qui pourraient eux-mêmes cocher des check-list, à adapter la posologie d’un anticoagulant ou d’une injection d’insuline qu’un robot peut adapter avec plus de précision, à renouveler des ordonnances pour des maladies chroniques parfois définies par le seul fait qu’il faut justement renouveler les ordonnances. Imaginez le temps qu’un clinicien libéré de ce stakhanovisme pourrait enfin consacrer à la réflexion clinique individualisée» rêve-t-il.
Puisque personne ne veut comprendre que le rhume ne se soigne pas… autant le faire par télémédecine !
Libérer du temps pour faire de la "vraie" médecine, tel est également le bénéfice direct de la télémédecine aux yeux de la gastroentérologue Marion Lagneau, qui vient de publier une note sur ce thème sur son blog Cris et Chuchotements. Chaque hiver, le même scénario se répète : les salles d’attente des médecins généralistes sont envahies par des patients reniflant, qui, oubliant toutes leurs expériences précédentes, sont convaincus de l’impérieuse nécessité de consulter un praticien pour venir à bout de leur rhume. Il serait essentiel pour enrayer ce phénomène qui est une entrave réelle à la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques ou de maladies aigües graves que les patients « connaissent l’adage : un rhume bien soigné dure 7 jours, un rhume mal soigné dure une semaine », remarque Marion Lagneau. Or, même si par son point d’interrogation, elle manifeste qu’elle est légèrement désappointée par une telle idée – « Il faut des autorités pour expliquer qu’un rhume ce n’est pas une raison pour aller aux urgences ? » s’interroge-t-elle. Marion Lagneau constate que le discours ambiant est loin de dissuader les Français de se ruer chez leur médecin généraliste au moindre écoulement nasal. Elle énumère ainsi les aberrations qui grèvent le système : « Facile de faire croire aux patients que le serment d’Hippocrate consisterait à accepter de voir les gens à toute heure du jour et de la nuit pour un rhume ou un état grippal. Facile de ne pas dire aux gens que les médecins ne sont pas des magiciens, et ne savent rien faire pour raccourcir les pathologies virales, sauf donner des médicaments que l’on peut se procurer facilement auprès du pharmacien, en vente libre. Facile de dire que les pharmaciens vont prendre en charge des renouvellements de traitements chroniques, des suivis de patients chroniques, mais qu’en revanche tout enrhumé peut disposer d’un avis médical rapide. Comme si un pharmacien n’était pas capable d’établir un diagnostic de rhume et d’en rechercher par l’interrogatoire des critères de gravité justifiant d’un avis médical (…). Personne ne trouve illogique que tous les patients qui découvrent qu’ils ont un rhume ou une virose saisonnière se pointent massivement dans des salles d’attente bondées et ne soient pas éduquées en amont pour pouvoir gérer eux même ceci (…). Personne ne trouve illogique que les patients veuillent obtenir une ordonnance pour des médicaments peu ou pas remboursés, que le pharmacien aurait donnés aussi bien que le médecin » détaille-t-elle. Face à cette situation à bien des égards ubuesque, le praticien estime, se référant à sa propre expérience, que la télémédecine est un véritable atout. Rapidement, elle évacue les réticences habituellement formulées : « Facile de critiquer les plateformes de télémédecine, hors champ de la médecine "en parcours de soin" si chère à nos dirigeants. Facile de dire que c’est commercial, que cela n’apporte pas un plus » observe-t-elle. A son sens, face au désir impétueux de beaucoup de trouver une réponse rapide à leur rhume, la télémédecine est un outil idéal. « En télémédecine, clairement depuis le début des vacances de Noel, nous assurons une large part de consultations pour ce motif. Très certainement, nous participons à désengorger les consultations médicales voire les urgences, vu le nombre impressionnant de consultations pour rhume que nous recevons et traitons à distance, sans examiner les patients », décrit-elle.
Pas de dissémination des virus (à part informatiques)
A ses yeux, la télémédecine pourrait contribuer à éviter de nombreuses consultations inutiles, d’autant plus si elle s’accompagnait de la diffusion de quelques notions simples sur la différence entre un simple rhume et la grippe. Elle conclut ainsi : « Les plateformes de télémédecine apportent (…) une réelle valeur ajoutée, en terme d’économie de temps médical, et d’économies de santé. On peut parfaitement expliquer aux gens qui ont un rhume ou une virose saisonnière de ne pas se pointer massivement dans des salles d’attente bondées et encore moins aux urgences, et soit de le gérer eux-mêmes, soit de demander un avis médical sur une plateforme de télémédecine. Le seul interrogatoire correctement effectué permet aux médecins de détecter d’éventuels signes d’alarme, et d’orienter les patients pour lesquels il est indiqué d’être examiné cliniquement. Pas besoin de connaitre au préalable le patient pour cela, ni d’être son médecin traitant habituel. Vous avez un rhume ? Commencez par du sérum physiologique avec de bons lavages de nez. Si vous avez vraiment nécessité d’un avis médical parce que cela vous prend le chou d’être accro à un mouchoir, téléconsultez, de chez vous, bien au chaud, en plus vous ne disséminerez pas vos virus » finit-elle.