«Un nombre incalculable de vies ont été sauvées grâce à la science dont ils sont les pionniers», assuré un expert.
James Allison de l’Université du Texas et Tasuku Honjo de l’Université de Kyoto se partageront le prix de 9 millions de couronnes (1,01 million$ US). Leurs travaux parallèles concernaient les protéines qui freinent le système immunitaire de l’organisme.
Leur recherche, qui a abouti à des médicaments qui relâchent les freins du système immunitaire, constitue «une étape décisive dans notre lutte contre le cancer», a déclaré l’Institut Karolinska de l’Assemblée Nobel de Suède, qui a sélectionné les lauréats du prestigieux prix.
Les découvertes de M. Allison, 70 ans, et de M. Honjo, 76 ans, «ont ouvert la voie à une nouvelle approche du traitement du cancer», a déclaré à l’Associated Press le docteur Jedd Wolchok, un cancérologue du Centre de cancérologie Memorial Sloan Kettering à New York.
Il a ajouté que l’idée de relâcher les freins des cellules du système immunitaire avait conduit à la mise au point de médicaments pour le mélanome, un cancer de la peau, et les cancers du poumon, de la tête et du cou, de la vessie, des reins et du foie. La semaine dernière, un tel médicament a été approuvé pour le traitement d’un autre type de cancer de la peau appelé épithélioma malpighien spinocellulaire, a-t-il déclaré.
Le docteur Wolchok a assuré qu’»un nombre incalculable de vies (...) ont été sauvées par la science dont ils sont les pionniers».
L’approche du traitement du cancer récompensée par le prix Nobel de cette année a été utilisée pour traiter l’ancien président américain Jimmy Carter, diagnostiqué en 2015 d’un mélanome qui s’était propagé à son cerveau. L’un des traitements de M. Carter était un médicament qui débloquait le «frein» des cellules immunitaires étudié par M. Honjo. M. Carter a annoncé en 2016 qu’il n’avait plus besoin de traitement.
Bien que le concept d’utilisation du système immunitaire contre le cancer soit apparu au 19e siècle, les traitements initiaux basés sur l’approche n’étaient que modestement efficaces.
«Tout le monde voulait faire de la chimiothérapie et de la radiothérapie. Le système immunitaire a été négligé parce qu’il n’y avait aucune preuve solide de son efficacité», a expliqué Nadia Guerra, la responsable d’un laboratoire de cancérologie au Collège impérial de Londres.
Le travail de M. Allison, effectué en grande partie à l’Université de Californie à Berkley, a changé la donne en prouvant que le système immunitaire pouvait identifier les cellules tumorales et agir contre elles.
«C’est comme si votre corps utilisait votre propre armée pour lutter contre le cancer», a-t-elle illustré.
M. Allison a étudié une protéine connue et développé le concept dans une nouvelle approche de traitement, tandis que M. Honjo a découvert une nouvelle protéine qui agissait également comme un frein aux cellules immunitaires.
«Une motivation essentielle pour les scientifiques est simplement de repousser les frontières du savoir. Je ne me suis pas lancé dans l’étude du cancer, mais dans le but de comprendre la biologie des cellules T, ces cellules incroyables qui voyagent dans notre corps et travaillent pour nous protéger», a expliqué M. Allison dans une déclaration publiée par le Centre de cancérologie MD Anderson de l’université de Houston, où il est professeur.
Les cellules T sont des soldats clés du système immunitaire.
Lors d’une conférence de presse plus tard lundi à Kyoto, M. Honjo a déclaré que ce qui le rend le plus heureux, c’est quand il entend parler de patients qui ont été guéris de maladies graves en raison de ses recherches.
M. Honjo, un joueur de golf passionné, a dit qu’un membre d’un club de golf l’avait déjà approché soudainement, le remerciant pour la découverte qui a permis de vaincre son cancer du poumon.
«Il m’a dit, ‘Grâce à vous, je peux encore jouer au golf’. (...) C’était un moment incroyable. Un commentaire comme celui-là me rend plus heureux que n’importe quel prix», a-t-il déclaré.
Les travaux primés de MM. Allison et Honjo ont débuté dans les années 1990 et faisaient partie des avancées significatives dans l’immunothérapie du cancer.
«Chez certains patients, cette thérapie est remarquablement efficace, a déclaré à l’AP Jeremy Berg, le rédacteur en chef des revues Science. Le nombre de types de cancers pour lesquels cette approche d’immunothérapie s’avère efficace chez au moins certains patients continue de croître.»
La thérapie mise au point à partir des travaux de M. Honjo a conduit à une rémission à long terme chez des patients atteints d’un cancer métastatique qui avait été considéré comme essentiellement incurable, a déclaré l’Assemblée Nobel.
Le prix Nobel de physique sera annoncé mardi, suivi de la chimie mercredi et du prix Nobel de la paix vendredi. Le lauréat en sciences économiques, qui n’est pas techniquement un prix Nobel, mais qui est remis en hommage à Alfred Nobel, le fondateur des prix, sera annoncé lundi prochain.
Aucun prix Nobel de littérature ne sera attribué cette année, car l’Académie suédoise, l’organe qui choisit le lauréat de la littérature, est en proie à des troubles après des allégations d’agression sexuelle et de scandale financier. L’académie espère décerner le prix 2018 et le prix de littérature 2019 l’année prochaine.
LAURÉATS DES 10 DERNIÈRES ANNÉES
Voici la liste des lauréats des dix dernières années du Nobel de Médecine, dont le prix 2018 a été attribué lundi par l’Assemblée Nobel de l’Institut Karolinska de Stockholm:
2018: James P. Allison (États-Unis) et Tasuku Honjo (Japon) pour leurs recherches sur l’immunothérapie qui se sont révélées particulièrement efficaces dans le traitement de cancers virulents.
2017: Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young (États-Unis), qui ont démonté les mécanismes complexes de l’horloge biologique.
2016: Yoshinori Ohsumi (Japon) pour ses travaux sur l’autophagie, processus par lequel nos cellules digèrent leurs propres déchets et qui, en cas de dysfonctionnement, déclenche la maladie de Parkinson ou le diabète.
2015: William Campbell (Irlande/États-Unis), Satoshi Omura (Japon) et Tu Youyou (Chine) pour leurs découvertes de traitements contre les infections parasitaires et le paludisme.
2014: John O’Keefe (Grande-Bretagne/États-Unis) et May-Britt et Edvard Moser (Norvège), pour leurs recherches sur le «GPS interne» du cerveau, qui pourrait permettre des avancées dans la connaissance de la maladie d’Alzheimer.
2013: James Rothman, Randy Schekman et Thomas Südhof (États-Unis), pour leurs découvertes sur les transports intracellulaires, qui font mieux connaître des maladies comme le diabète.
2012: Shinya Yamanaka (Japon) et John Gurdon (Grande-Bretagne), pour leurs travaux sur la réversibilité des cellules souches, qui permet de créer tous types de tissus du corps humain.
2011: Bruce Beutler (États-Unis), Jules Hoffmann (France) et Ralph Steinman (Canada), pour leurs recherches sur le système immunitaire qui permet à l’organisme humain de se défendre contre les infections, favorisant la vaccination et la lutte contre des maladies comme le cancer.
2010: Robert Edwards (Grande-Bretagne), le père des bébés-éprouvette.
2009: Elizabeth Blackburn (Australie/États-Unis), Carol Greider et Jack Szostak (États-Unis), pour leurs découvertes sur les mécanismes de la vie et leurs applications dans la lutte contre le vieillissement.
Avec AFP