CFA 2024 – Agents chimiques et pollens peuvent-ils induire des allergies alimentaires ?
Les « facteurs irritants » de plus en plus présents dans notre environnement comme les détergents ou les microplastiques peuvent-ils altérer la barrière intestinale et induire des allergies alimentaires ?
Lors d’une session du congrès francophone d’allergologie (CFA), la Dre Virginie Doyen (CHU Namur, UCL, Louvain, Belgique) a dressé un état des connaissances sur le sujet, soulignant que peu d’études avaient été réalisées sur ce lien potentiel entre les « irritants » et les allergies alimentaires.
Elle a précisé que les mécanismes en jeu étaient progressifs et qu'il existait des facteurs prédisposants multiples (génétique, épigénétique, environnementaux internes et environnementaux externes…), ce qui rend l’étude de cette question particulièrement complexe.
Les mauvaises habitudes alimentaires altèrent la protection intestinale
Concernant les changements d’habitudes alimentaires, il a été montré que la consommation d’additifs et de conservateurs, les aliments riches en sucres, en graisses et pauvres en acides gras à chaines courtes sont associés à un risque accru d’allergies alimentaires.
L’une des hypothèses est que le manque de consommation de fibres alimentaires pourrait stimuler la dégradation du mucus intestinal via le microbiome.
En revanche, le régime méditerranéen durant l’allaitement et la grossesse et le régime riche en fruits et en légumes durant l’enfance sont associés à un risque diminué d’allergies alimentaires.
Mais, par quels mécanismes les mauvaises habitudes alimentaires peuvent-elles altérer les systèmes de protection au niveau intestinal et laisser passer les allergènes alimentaires qui sont à l’origine d’une sensibilisation ?
« Négligé par les travaux scientifiques le mucus joue pourtant un rôle important au niveau de l'intestin en limitant l'exposition aux antigènes et en maintenant la tolérance immunitaire. Il est riche en glycoprotéines, en glucides, en peptide antimicrobiens et en IgA », a indiqué la Dre Doyen qui précise « qu’il est aussi une niche pour notre flore commensale qui va avoir des effets immunomodulateurs et qui peut, si elle est modifiée par notre alimentation, dégrader ce mucus ».
Aussi, des données sur des modèles cellulaires et des modèles expérimentaux animaux montrent que l’ingestion de quantités importantes de produits de glycation avancée (alimentation ultra-transformée) semble altérer la barrière intestinale.
Des chercheurs ont montré 1, notamment, que l’exposition de cultures cellulaires épithéliales, ou de PBMC (cellules mononucléées sanguines d'enfants à risque d'allergie alimentaire) à des produits de glycation avancée entraîne une altération des tight junctions (jonctions serrées) qui existent entre les cellules épithéliales et qui assurent la cohésion de la barrière intestinale.
Au contact des aliments ultra transformés, l’occludine, constitutive de ces jonctions étanches et la protéine ZOT1, qui régule ces jonctions, sont diminuées. Les allergènes et autres irritants ont donc la possibilité de passer la barrière.
En outre, suite à l’exposition aux produits de glycation avancés, les chercheurs ont observé une augmentation de la production de cytokines pro-inflammatoires de type Th2 par les PBFC et des alarmines IL-25 et IL-33 qui sont des signaux de danger qui vont orienter la réponse immune de type Th2.
Le microbiome affecté dans l’allergie alimentaire
Une dysbiose et un microbiome plus faiblement diversifié sont observés en cas d’allergie alimentaire.
Il semble que l’altération initiale du microbiome entraine une fragilité de la barrière intestinale. Cependant, une barrière défectueuse en raison d’une mutation génétique de la filaggrine est aussi associée à un risque accru d’allergie alimentaire aux arachides. La relation est bidirectionnelle.
Détergents, émulsifiants, microplastiques…
Outre l’impact d’une alimentation déséquilibrée, il semble possible qu’il existe un effet indirect des agents chimiques et des pollens sur la survenue de symptômes allergiques alimentaires chez les patients sensibilisés, a indiqué l’oratrice.
Des travaux ont montré que les émulsifiants (lécithine, carboxyméthylcellulose, sorbitol, monostéarate, polysorbate 80) qui solubilisent les phases aqueuses et huileuses ont des effets au niveau intestinal 2, 3.
Le contact avec un émulsifiant induit un épaississement de la partie dense du mucus intestinal qui entraine une limitation des interactions entre l'épithélium et la flore intestinale.
La rupture des interactions entre le mucus et les bactéries va entraîner une modification du microbiote, via une modification des bactéries qui vont exprimer plus de molécules pro-inflammatoires de type flagellines et lipopolysaccharides (LPS).
Chez la souris, cette activation des processus inflammatoires a été associée à une inflammation chronique au niveau du tube digestif. Chez la souris sauvage, sans prédisposition, ont seulement été observés des désordres métaboliques. En revanche, chez des souris prédisposées, des colites inflammatoires se sont développées.
Concernant les détergents (résidus des détergents de lave-vaisselle, des produits de rinçage sur la vaisselle…), des chercheurs ont observé à partir de pseudo organes explantés, que lorsque les tissus ne sont pas exposés à ces détergents, la barrière épithéliale est intacte. En revanche, si les structures épithéliales sont exposées à des détergents, la barrière présente des altérations qui sont associées à une surexpression de gènes impliqués dans la réponse immune et dans les processus inflammatoires.
Autre expérience, des chercheurs se sont intéressés à l'effet du détergent dodécylsulfate de sodium (SDS) 4, 5, présent dans le dentifrice, au niveau de l’épithélium digestif. Ils ont pu constater qu’il diminue l'intégrité de la barrière épithéliale (éosinophilie, inflammation de type Lymphocytes CD4, remodelage de l'épithélium intestinal). La barrière altérée peut favoriser la pénétration de substances irritantes, de bactéries ou d'allergènes.
Au sujet des microplastiques (particules insolubles < 5 mm), il a été montré qu’ils pénètrent les tissus au niveau cutané et respiratoire. Mais qu’en est-il au niveau intestinal ?
Deux travaux chez des souris nourries avec des aliments qui contenaient des microplastiques 6,7 ont montré que ces microplastiques pénétraient au niveau de l’épithélium et induisaient de la dysbiose. Ils réduisaient la production de mucus et altéraient la fonction de la barrière intestinale.
Limiter la quantité de tous les produits toxiques que nous utilisons, sans nous en passer complètement, est probablement une piste à suivre Dre Doyen
Quid du pollen ?
La pollution et le changement climatique sont responsables d’une activité protéasique des pollens en augmentation. Ces pollens sont responsables d’un nombre croissant d’allergies respiratoires mais ont-ils une action sur la barrière intestinale ? Un travail international a montré sur un modèle de culture cellulaire et chez la souris que l'actinidine (Act d 1), un allergène du kiwi, entraîne une rupture des jonctions serrées et une augmentation de la perméabilité intestinale 8.
En résumé, il existe une altération de la barrière épithéliale digestive dans les allergies alimentaires et des données expérimentales suggèrent que certains irritants pourraient contribuer à ce phénomène, nous rendant plus sujets à des réactions inflammatoires et à des réactions inadaptées du système immunitaire.
S’interrogeant aux moyens de limiter cette altération, la Dre Virginie Doyen a conclu : « Il serait possible d’envisager des actions conjointes en termes de prévention et de thérapeutique. Les pistes thérapeutiques pourraient être les anti-alarmines, notamment l’anti-TSLP qui bloque la cascade de réactions au point de départ, au niveau de l’épithélium dans l'asthme sévère. On pourrait aussi imaginer des modifications du microbiote pour agir sur le mucus. Enfin, il semble exister un facteur de dose. Limiter la quantité de tous les produits toxiques que nous utilisons, sans nous en passer complètement, est probablement une piste à suivre ».
Cet article a initialement été publié sur Medscape.fr.
Source : https://www.univadis.fr/ Aude Lecrubier