Urgences : ce projet gouvernemental qui pourrait court-circuiter le Service d'accès aux soins.
Un projet de guide sur la réorientation à l'entrée des urgences, transmis aux syndicats médicaux la semaine dernière, prévoit de donner la possibilité aux infirmières organisatrices de l'accueil (IOA) de prendre un rendez-vous pour un patient sur la plateforme numérique du SAS sans passer par la régulation médicale ambulatoire. Un "non-sens" pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF.
Le projet leur a été communiqué le 25 juin dernier. Les syndicats de médecins libéraux avaient jusqu'au 1er juillet pour relire et donner leur avis sur le projet de guide sur la réorientation à l'entrée des urgences élaboré par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). Le document de travail, qu'Egora a pu consulter, précise le cadre juridique de la réorientation après la réforme des autorisations de médecine d'urgence de décembre 2023, le fonctionnement et les critères médicaux de réorientation.
Ce projet de guide est le résultat de concertations qui ont été menées avec les représentants des ARS, de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), des organisations professionnelles des urgences (Amuf, CFMU, CNUH, SUDF), des fédérations hospitalières (FEHAP, FHF, FHP, MCO), des médecins libéraux, du Collège de médecine générale (CMG), de l'Association nationale des centres d'enseignement des soins d'urgence (ANCESU) et des infirmiers (CNPI).
La possibilité de réorienter un patient se présentant aux urgences mais ne relevant pas de la médecine d’urgence existe dans le Code de la santé publique depuis 2006. Cette réorientation peut se faire par un médecin d'accueil et d'orientation (MAO) ou une infirmière d'organisation de l'accueil (IOA), "uniquement sur protocole médical dans ce dernier cas". Ce protocole doit être rédigé par le médecin des urgences et validé par l'hôpital, rappelle le document, qui intègre un modèle proposé par la SFMU, Samu-Urgences de France, le Collège de médecine générale (CMG) et le Groupe francophone de réanimation et urgences pédiatriques (GFRUP).
L'objectif de la réorientation est de proposer au patient l'offre la plus adaptée à son besoin de santé. Une pratique qui se développe à mesure que les services d'urgences sont mis à mal par la pénurie médicale, constate la DGOS.
"Les généralistes ne voudront pas interfacer leur agenda avec la plateforme"
Le 29 décembre 2023, un décret a permis aux services d'urgences d'orienter le patient vers le Service d'accès aux soins (SAS) et la médecine de ville. Si un patient a besoin de voir un généraliste aux horaires du SAS (de 8h à 20h en semaine et le samedi de 8h à 12h), un rendez-vous peut être pris sur la plateforme numérique nationale SAS par l'opérateur de soins non programmés (OSNP). Dans ce cas, "le premier décroché et la régulation médicale du SAS ne sont pas sollicités".
Le projet de guide prévoit d'ouvrir la possibilité aux services d'urgences de conventionner avec le SAS de leur département "pour pouvoir utiliser la plateforme numérique SAS afin de prendre directement rendez-vous avec un professionnel de santé effecteur du SAS (cabinet individuel, MSP, CDS, médecin adhérent à la CPTS, etc.) pour le patient". Ce serait à l'infirmière d'organisation de l'accueil de prendre le rendez-vous, ou à un agent administratif, "une fois la réorientation validée par l’IOA ou le MAO", précise le projet de guide.
Aux horaires de permanence des soins ambulatoires (de 20h à 8h en semaine, le samedi à partir de midi, le dimanche et les jours fériés), le guide liste deux possibilités : si le patient n'a pas de besoin urgent de consulter, alors un rendez-vous peut être pris sur la plateforme SAS pour le lendemain, ou si le patient doit urgemment voir un généraliste, il peut être réorienté vers un médecin de garde (cabinet ou MMG) ou dans une structure en activité à ces horaires.
Le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, dénonce un projet "fait dans l'urgence" et sans "aucune concertation" avec les syndicats libéraux. "Ce texte prévoit que l’infirmière d’accueil et d’orientation d’un service d’urgence puisse réaliser des examens cliniques, et pour un patient qui n’a pas besoin de passer par les urgences, appeler directement l’opérateur de soins non programmés ou mettre directement un rendez-vous sur la plateforme nationale. On court-circuite le médecin régulateur du SAS, et éventuellement aussi celui de la PDSA, ce qui est un non-sens, car il joue un rôle important !", fustige le généraliste.
Et d'ajouter que "dans les départements où un SAS fonctionne, sur 100 appels, seuls 25 à 50 environ sont envoyés aux médecins effecteurs. Le reste, ce sont des ordonnances envoyées au patient, des conseils, etc." "Les médecins généralistes ne voudront absolument pas interfacer leur agenda avec la plateforme nationale. Car les urgences vont le remplir avec des consultations qui ne sont pas nécessaires, et ils n’auront plus de place pour les soins non programmés de leur patientèle", craint le syndicaliste, très investi sur la question du SAS.
Contacté, le syndicat MG France, dont la relecture a également été sollicitée, indique, par la voix de son secrétaire général adjoint, n'avoir pas eu "grand-chose à retoucher" sur ce projet de guide. Concernant la possibilité pour les infirmières d'orientation et d'accueil de prendre un rendez-vous pour un patient sur la plateforme du SAS sans passer par la régulation médicale, le Dr Jean-Christophe Nogrette juge que "c'est là qu'est l'os, mais bon de toute façon ça ne changera pas grand-chose", sous-entendant que le Gouvernement a déjà tranché.
https://www.egora.fr/actus-pro/acces-aux-soins/urgences-ce-projet-gouvernemental-qui-pourrait-court-circuiter-le-service
Source : https://www.egora.fr/