Anticancéreux innovants : la Cour des comptes propose des moyens de réguler les surcoûts.
Dans un rapport annuel sur la Sécurité sociale, la Cour des comptes consacre un chapitre aux médicaments anticancéreux innovants. Elle souligne la progression préoccupante du coût des anticancéreux en France et propose quatre recommandations « pour rendre cette progression plus soutenable sans remettre en cause les progrès thérapeutiques au bénéfice des patients » (1).
« Les nouveaux traitements anti-cancéreux ont permis des progrès thérapeutiques significatifs avec des conditions d’accès plutôt satisfaisantes, mais leur coût considérable conduit à préconiser une adaptation des dispositifs actuels de régulation », note la Cour des comptes.
« Pour préserver la capacité de notre système de santé à concilier durablement un accès rapide au progrès médical et la maîtrise des dépenses de l’assurance maladie », la Cour formule quatre recommandations :
- renforcer la capacité de la commission d’évaluation économique et de santé publique à produire des études médico-économiques indépendantes des laboratoires pharmaceutiques ;
- en se fondant sur les études médico-économiques et en vue de la négociation du prix des médicaments, définir des valeurs de référence pour l’indicateur exprimant le rapport entre les différentiels de coût et d’efficacité entre un nouveau médicament et un médicament comparable existant ;
- mettre en place un registre national de suivi de l’administration des médicaments anti-cancéreux, financé par une contribution des laboratoires concernés ;
- renégocier le prix des médicaments anti-cancéreux innovants lorsque des études, non disponibles au moment de la fixation du prix initial, montrent des résultats inférieurs à ceux attendus.
12 % des dépenses de l’assurance maladie
Avec le développement des nouvelles thérapies innovantes en cancérologie, parmi lesquelles figurent les thérapies ciblées, les immunothérapies et les hormonothérapies, le cancer est devenu la pathologie la plus onéreuse pour l’assurance maladie. En 2021, son coût s’élevait à 22,5 milliards d’euros, soit 12 % des dépenses de l’Assurance maladie.
Selon la caisse nationale d’assurance maladie, le coût moyen d’un traitement anti-cancéreux est de 14 580 € par an pour un cancer actif. Pour certains médicaments, le coût est particulièrement élevé. Il atteint 72 000 € par patient et par an pour l’anti-PD1 pembrolizumab, tandis que l’unique perfusion de cellules CAR-T, une thérapie génique, coûte entre 300 000 et 400 000 € hors coût organisationnel pour l’établissement (voir encadré).
Si les coûts des traitements augmentent, le nombre de patients à en bénéficier progresse également, rappelle la Cour des comptes. En 2018, 244 563 patients avaient reçu un médicament anti-cancéreux innovant contre 180 148 en 2018, soit une progression de près de 75 % en quatre ans.
Cette évolution est liée en partie à certains nouveaux médicaments qui sont prescris dans plusieurs indications. C’est le cas par exemple de l’anticorps pembrolizumab, utilisé dans le traitement du mélanome ou de certains cancers bronchiques. En 2016, 1 267 patients ont reçu ce traitement dans le cadre de sa première indication et 48 156 patients en 2023 au titre de 22 autres indications.
En contrepartie, les gains de survie ont progressé, notamment dans les cancers de mauvais pronostic. Pour le cancer de la prostate, le taux de survie à cinq ans a augmenté de 21 points entre 1990 et 2015 pour atteindre 93 %. L’amélioration est de 12 points pour le cancer colorectal et 11 pour le mélanome. Pour le cancer du poumon, la mortalité a diminué de 58 % en 30 ans chez les hommes.
Cellules CAR-T: favoriser la production nationale
« L’expertise développée en France par certains centres experts, comme l’institut Gustave Roussy ou l’Institut Curie, pourrait être mise à profit pour produire des cellules CAR-T », estime la Cour des comptes. En France, à l’instar d’autres pays européens, des centres commencent à se mettre en place pour produire au niveau académique ces traitements afin de réduire leur coût exorbitant.
Utilisées jusqu’à présent avec succès en oncohématologie, ces cellules CART-T (lymphocytes T à récepteurs d’antigènes chimérique) s’avèrent également prometteuses dans d’autres cancers. Aujourd’hui, les lymphocytes T du patient sont prélevés, puis envoyés à l’étranger où ils sont modifiés génétiquement par le fabriquant. Les lymphocytes modifiés sont réinjectés par la suite au patient afin de reconnaitre et détruire spécifiquement les cellules cancéreuses.
La modification génétique est réalisée par le biais d’un vecteur qui amène le fragment d’ADN dans la cellule. « Ce n’est pas la cellule CART-T qui est brevetée, mais le vecteur utilisé. Chaque industriel a breveté son système. Au niveau académique, chacun utilise également son propre vecteur », a précisé auprès de Medscape édition française le Pr Steven Le Gouille, directeur de l'Ensemble hospitalier de l'Institut Curie.
La production pourrait alors être centralisée, ce qui réduirait nettement les coûts. Après avoir produit leurs propres cellules CART-T, « les centres doivent pouvoir les délivrer en toute sécurité et en faire un médicament à usage clinique ». Or, il existe certaines règles d’évaluation à respecter. « Puisque ce ne sont pas des médicaments comme les autres, la question se pose d’alléger la procédure pour ces cellules CART-T académiques. » Au risque d’être accusé de concurrence déloyale par les industriels, qui ont dû respecter des procédures complexes.
Cette simplification, si elle est approuvée d’un point de vue juridique, pourrait réduire considérablement les coûts. En Espagne, une équipe académique a pu obtenir une autorisation de commercialisation pour une thérapie CART-T développée et produite au sein d’un hôpital à Barcelone, ce qui a permis de réduire le prix de la dose à 89 000 euros, contre plus de 300 000 euros en coût habituel.
Dédiée aux thérapies cellulaires et génique, la plateforme CellAction vient d’être inaugurée à l’Institut Curie pour notamment accélérer le développement de cellules CART-T dans le traitement des cancers. Un programme est actuellement mené pour développer des cellules CAR-T visant des tumeurs solides, notamment des tumeurs cérébrales, a précisé le Pr Le Gouille.
Pour analyser la dépense, la Cour des comptes s’est cantonnée aux médicaments anti-cancéreux relevant de la « liste en sus ». En raison de leur coût et de leur caractère innovant, les médicaments inscrits sur cette liste font l’objet d’un remboursement spécifique par l’assurance maladie aux hôpitaux.
En 2022, les 72 médicaments anti-cancéreux de la « liste en sus » représentaient 74 % des dépenses effectuées pour cette liste, alors qu’il s’agit d’un tiers des médicaments inscrits. En quatre ans, la dépense pour ces médicaments a doublé, passant de deux à plus de quatre milliards d’euros par an. Les dépenses pour le pembrolizumab se sont élevées à elles seules à 1,1 milliard d’euros en 2021.
Pour rendre cette progression plus soutenable, la Cour des comptes propose dans ses recommandations de faire évoluer les outils d’évaluations cliniques et médico-économiques pour mieux négocier les prix avec les industries pharmaceutiques. La qualité des dossiers médico-économiques réalisés par les entreprises pharmaceutiques est en effet jugée insatisfaisante.
L’amélioration des procédures d’évaluation passerait par la conduite d’études médico-économiques indépendantes des laboratoires privés afin de quantifier les progrès en années de vie gagnées en bonne santé. « Cela pourrait passer par une mobilisation plus importante des universités. »
L’utilisation systématique d’un indicateur d’efficience du traitement dans les négociations est également encouragée. Cet indicateur, appelé ratio différentiel coût-résultat, est utilisé par la Commission d'évaluation économique et de santé publique (CEESP) comme critère parmi d’autres. En l’utilisant comme valeur de référence, il pourrait devenir un levier important dans les négociations, estime la Cour.
Mettre en place un registre national
Pour évaluer l’efficacité en vie réelle des médicaments, en particulier ceux inscrits sur la liste en sus, la Cour des comptes propose de mettre en place un registre national, financé par les entreprises pharmaceutiques. « Les études cliniques ne devraient pas être la seule source pour évaluer ces médicaments. »
Ce type de registre est d’autant plus justifié que les nouveaux médicaments anticancéreux sont souvent mis à disposition de manière accélérée, à une phase précoce des essais. En cas de résultats inférieurs à ceux espérés, les prix pourraient être renégociés.
En France, contrairement à d’autres pays européens, il n’existe pas de registre national permettant de suivre en vie réelle les innovations thérapeutiques des médicaments anti-cancéreux et leurs résultats, hormis celui mis en place pour les traitements par cellules CAR-T.
Il est également suggéré de fixer un prix pour une durée limitée « dans l’attente d’études d’efficacité clinique et médico-économique ». Il pourrait également être envisagé « pour certaines molécules, dès la première négociation », une baisse régulière de prix visant à planifier leur sortie de la « liste en sus ».
Le prix élevé accepté lors d’une première négociation sert pendant longtemps de référence pour les négociations futures, surtout lorsqu’il n’y a pas d’objectif de réduction des prix, est-il précisé. « L’accord-cadre, qui permet en théorie un réexamen des prix, n’est pas automatique. »
« Ces différentes options pourraient être intégrées au futur accord-cadre entre le Comité économique des produits de santé (CEEPS) et l’organisation professionnelle des entreprises du médicament », qui devrait être prochainement négocié, a indiqué la Cour.
Cet article a été initialement publié sur Medscape.fr.
Source : https://www.univadis.fr/