« Hypersensibilité » : maladie, trouble ou fonctionnement inné ?
L’hypersensibilité n’est pas une maladie ou un trouble devant être traité. C’est un mode de fonctionnement inné, inscrit dans une architecture psychologique complexe, singulière et relativement stable
L’hypersensibilité est un phénomène qui suscite un énorme intérêt de nos jours, tant de la part du grand public (11 200 000 réponses dans le moteur de recherche Google, pléthore de livres et magazines, etc.), que des experts en psychologie. La manière dont ces derniers conçoivent l’hypersensibilité clarifie sa compréhension.
C’est à Elaine et Arthur Aron que l’on doit l’identification du phénomène d’hypersensibilité et ses premières conceptualisations en tant que trait de tempérament, en 1997. Selon eux, les personnes hautement sensibles (highly sensitive people) ressentent généralement plus intensément les stimuli internes et externes, même minimes, qu’ils soient positifs ou négatifs, et les traitent de manière plus précise, subtile et nuancée que les personnes dont la sensibilité est moindre.
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Percevoir et traiter finement ce qui se passe à l’intérieur et autour de soi
Autrement dit, il s’agit d’une capacité accrue à capter ce qui se passe à l’intérieur de soi, à percevoir finement ce qui nous entoure, mais aussi à traiter ces données de manière particulièrement complexe.
Les personnes hautement sensibles ne sont pas si rares puisque les études montrent que l’hypersensibilité concernerait entre 15 % et 30 % de la population générale.
Elle n’est pas l’apanage des personnes introverties – quand bien même ces dernières sont davantage polarisées sur leur monde intérieur que sur le monde extérieur, donc a priori davantage enclines à l’introspection – puisqu’on note qu’environ 30 % des personnes hautement sensibles sont extraverties.
La dopamine et la sérotonine en jeu
Ce traitement approfondi de l’information reposerait sur un mode particulier d’activation du système nerveux, plutôt que sur l’existence de sens surdéveloppés. Chez les personnes hautement sensibles, les zones du cerveau impliquées dans le traitement d’informations complexes sont en effet davantage en éveil.
Qui plus est, chez eux, le métabolisme de la dopamine – un neurotransmetteur, autrement dit une molécule qui contribue à transmettre des informations d’un neurone à l’autre – façonne en partie l’expression de certaines de leurs singularités génétiques.
De plus, leur production de sérotonine, un autre neurotransmetteur, exacerbe en partie leur sensibilité émotionnelle envers des stimuli environnementaux aversifs.
Une tendance à fuir les nuisances causées par les stimuli
Ce fonctionnement singulier correspondrait à : une grande capacité à détecter des stimuli subtils (sensitivity to subtle stimuli), à les ressentir intensément (overstimulation), à les traiter de manière approfondie (depth of processing), et à y réagir émotionnellement, via notamment une hyper-empathie (emotional reactivity and high empathy).
Des recherches suggèrent que l’hypersensibilité serait constituée de trois composantes : un seuil sensoriel bas, une facilité d’excitation et une sensibilité esthétique.
Nos recherches, à l’instar d’autres menées sur la question révèlent quant à elles l’existence d’une autre dimension de l’hypersensibilité, remplissant une fonction qu’on pourrait qualifier de défensive : la tendance à fuir les nuisances des stimuli, afin de s’en protéger.
Toutefois, faut-il considérer cette dernière dimension comme une composante princeps de l’hypersensibilité ? Ou faut-il y voir une forme d’évitement phobogène, réactionnel à une gêne et/ou à une fatigue que l’hypersensibilité occasionnerait ?
Curiosité d’esprit versus prises de risque et impulsivité
L’hypersensibilité s’avère en outre positivement corrélée au névrosisme, un trait de personnalité qui se caractérise par la tendance habituelle à voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein, ce qui rend plus enclin à ressentir des émotions négatives que des émotions positives, et prédispose de la sorte à développer des souffrances psychologiques et somatiques.
Dans une moindre mesure, l’hypersensibilité s’accompagne d’une grande ouverture à l’expérience, notamment propice à la créativité. Selon nous, la conjonction de ces deux traits de tempérament favoriserait la découverte et l’exploration de stimuli subtils, via une grande curiosité d’esprit et des investigations expérientielles, aux vertus parfois transcendantes.
De la sorte, l’hypersensibilité rendrait davantage réceptif à des états de bien-être induits par des expériences positives transformatrices, sources potentielles d’émerveillement (via notamment le vecteur artistique, une connexion à la Nature, etc.).
En revanche, lorsqu’elle s’accompagne d’affects négatifs, l’hypersensibilité peut favoriser la recherche de sensations, en exacerbant deux de ses éléments constitutifs : la prise de risque et l’impulsivité. De surcroît, des liens commencent à être établis entre hypersensibilité, inattention et impulsivité, deux composantes centrales du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité TDAH.
Une manière d’être, et non une pathologie
Globalement, le terme « hypersensibilité » renvoie à l’existence d’un mode de fonctionnement inné particulier, s’inscrivant dans une architecture psychologique complexe, singulière et relativement stable (dont la charpente serait les traits de tempérament et de personnalité), avec lequel il convient de savoir composer, en vue d’en tirer le meilleur parti, si tant est que les conditions de vie et les opportunités qu’elles offrent s’y prêtent.
En effet, on note que les personnes hypersensibles introverties ayant eu une enfance heureuse sont moins gênées par leur émotivité et moins enclines à la dépression que les personnes hypersensibles ayant connu une enfance difficile. Ces dernières sont davantage susceptibles de souffrir de troubles anxio-dépressifs à l’âge adulte.
Source : The Conversation.