Le prix Nobel de médecine 2024 décerné aux Américains Victor Ambros et Gary Ruvkun pour la découverte des microARN.
Les deux scientifiques ont été récompensés pour leur découverte des microARN, nouvelle classe de molécule ARN minuscule jouant un rôle crucial dans la régulation de l’activité des gènes.
Pour la deuxième année consécutive, l’ARN (acide ribonucléique) est mis à l’honneur. Lundi, le prix Nobel de médecine a en effet été décerné à Victor Ambros et Gary Ruvkun, deux biologistes américains, pour leur découverte des microARN dans les années 1990. Ces molécules – que l’on retrouve chez les plantes et chez la plupart des espèces animales (y compris l’être humain) – ont l’extraordinaire pouvoir de réguler l’expression des gènes. Du stade embryonnaire à notre mort, ils sont impliqués dans la plupart des processus biologiques du vivant.
« Ces deux chercheurs ont fourni un travail exceptionnel qui a longtemps été injustement ignoré, ils méritent amplement cette récompense qui a bouleversé toute la génétique moléculaire », réagit Hervé Seitz, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des microARN. « C’est une agréable surprise que des travaux comme ceux-là soient enfin reconnus. Ils ont eu un impact très important sur la recherche en santé », se réjouit pour sa part le virologue Patrice Bruscella, enseignant-chercheur à l’Institut Mondor de recherche biomédicale.
Les microARN sont un peu comme des interrupteurs : ils ont le pouvoir d’« éteindre » nos gènes. Et ce n’est pas rien, car les gènes sont la notice de fabrication des briques indispensables à la vie : les protéines. Si le gène est « éteint », la protéine ne sera donc pas fabriquée. Parmi les protéines les plus connues, on peut citer l’insuline, qui régule le taux de sucre dans le sang, ou l’hémoglobine, qui permet de transporter de l’oxygène dans tout le corps. Mais, entre un gène et son produit final (la protéine, donc), il y a un intermédiaire : l’ARN messager, la fameuse molécule utilisée dans les vaccins contre le Covid-19.
L’an dernier, la prestigieuse récompense avait d’ailleurs été attribuée à la chercheuse hongroise Katalin Kariko et à son collègue américain Drew Weissman pour leur travail ayant permis le développement des vaccins dits « à ARN messager ». Mais malgré leur acronyme commun, les microARN ne partagent rien ou presque avec cette précédente découverte. « Chimiquement, on peut dire que l’ARN messager et les microARN sont identiques, ils sont faits des mêmes éléments », explique Hervé Seitz. Comme leur nom l’indique, les microARN sont toutefois bien plus petits que les molécules d’ARN messager. « L’autre grande différence est que l’ARN messager n’est qu’un support éphémère de l’information génétique, alors que les microARN ne transportent pas d’information : ils ont une action qui leur est propre. »
Concrètement, ils peuvent se lier à de l’ARN messager pour l’empêcher d’être traduit en protéine. Il existe plus d’un millier de microARN chez l’être humain, qui contrôlent jusqu’à 60 % du génome. « Aujourd’hui, on se rend compte qu’ils sont impliqués dans une immense variété de processus biologiques. Par exemple, une étude a montré que sans certains microARN, les embryons de souris ne peuvent pas se développer », illustre Hervé Seitz. Autrement dit, ils sont indispensables dès les premiers stades de la vie. Mais ils sont aussi impliqués dans des maladies : « Des travaux ont montré que le virus de l’hépatite C est capable de détourner le microARN 122, spécifique du foie chez l’homme, pour se multiplier », indique Patrice Bruscella. Le rôle des microARN est également scruté avec attention en oncologie. « Certains semblent impliqués dans la survenue de cancers. Quand ils sont surexprimés chez la souris, cela augmente le risque de tumeurs », souligne Hervé Seitz.
C’est en 1993 que l’Américain Victor Ambros découvre par hasard le premier microARN chez un petit ver, C. elegans. Il pense alors que c’est une spécificité de ce nématode. « Il a publié deux articles sur le sujet qui sont passés totalement inaperçus. À l’époque, cela n’intéressait personne », se souvient Hervé Seitz. Sept ans plus tard, un autre chercheur, Gary Ruvkun découvre un second microARN chez la même espèce de ver. « Il s’est aperçu que ce deuxième micro ARN n’est pas spécifique du nématode, mais présent chez tous les animaux qui ont un plan de symétrie, en fait la plupart des animaux », poursuit le scientifique. On sait désormais que certains de ces microARN ont traversé sans entrave 500 millions d’années d’évolution.
La recherche est en ébullition
La médecine pourrait-elle tirer profit de ces microARN ? Nul ne le sait pour le moment, comme l’ont souligné les membres du comité Nobel. « Avoir une compréhension de base est bien sûr une première étape vers le développement d’applications », a rappelé lors d’une conférence de presse la Pr Gunilla Karlsson Hedestam, membre du Comité Nobel. « Il n’y a pas d’application claire disponible pour le moment (…) cela pourrait prendre du temps. Il y a de nombreux essais cliniques en cours, en particulier sur le cancer. » « Plusieurs microARN sont connus pour avoir une action oncogénique chez l’être humain. Peut-être que si on parvenait à les réprimer, on pourrait améliorer l’état de santé des gens, mais on en est encore loin », estime Hervé Seitz. Signe que ce domaine de recherche est en ébullition, le nombre annuel de publications scientifiques est passé de quelques centaines au milieu des années 2000 à près de 10 000 en 2024.
La saison des Nobel se poursuit à Stockholm mardi avec la physique, puis mercredi la chimie, avant les très attendus prix de littérature jeudi et de la paix vendredi, seule récompense décernée à Oslo. Le plus récent prix d’économie clôt le millésime lundi prochain. Pour rappel, le prix s’accompagne d’une récompense de 11 millions de couronnes (920 000 euros).
Source : https://sante.lefigaro.fr/