La justification des prescriptions : e décret qui coince chez les médecins et les pharmaciens.
Les médecins libéraux sont-ils de nouveau dans la ligne de mire de l’Assurance maladie ? Tout le laisse penser. Un récent décret publié au Journal officiel du 30 octobre, issu de la loi de financement de la Sécurité sociale 2024 (LFSS 2024) prévoit que « la prise en charge d’un produit de santé puisse être conditionnée au renseignement par le prescripteur d’éléments relatifs aux circonstances et aux indications de la prescription ». En clair, le médecin devra justifier, sur un document joint à l’ordonnance, les raisons pour lesquelles il a prescrit certains médicaments présentant « un intérêt particulier pour la santé publique, un impact financier pour les dépenses d’assurance maladie ou un risque de mésusage ». Il devra, pour cette liste restreinte de médicaments, s’assurer qu’il respecte les indications prévues par la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Nouvelles dispositions
Mais ce n’est pas tout. De nouvelles dispositions allant dans le même sens sont actuellement discutées dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 (PLFSS 2025). Il s’agit de l’article 16 du PLFSS 2025. Selon le Dr Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), « le périmètre de cette mesure dans la LFSS 2024 était restreint aux médicaments, maintenant, dans le cadre du PLFSS 2025, on adjoint les prescriptions de biologie, de radiologie, et de transport ». Selon le décret, mais aussi l’article 16 en cours de discussion, le document précisant le respect des bonnes indications devra être présenté au pharmacien pour la délivrance des médicaments, mais aussi adressé au contrôle médical de l’Assurance maladie.
Antidiabétiques
Ces mesures font suite à une série d’ordonnances qui ne respectaient pas les bonnes indications, pouvant entraîner des conséquences dramatiques, selon Pierre-Olivier Variot, président du syndicat USPO (Union des syndicats de pharmaciens d’officine) : « Nous nous sommes retrouvés avec des tensions d’approvisionnement sur certains médicaments, qui ont eu pour conséquence la non prise en charge de patients, faute de stocks. Il s’agit par exemple de l’Ozempic, un antidiabétique qui a été détourné de son usage. » Franck Devulder ne nie pas que certains médecins ont prescrit l’Ozempic pour d’autres indications que le diabète de type 2 : « Selon certaines publications scientifiques, l’Ozempic est efficace pour lutter contre le surpoids, mais aussi pour certaines pathologies psychiatriques, et des médecins l’ont donc prescrit pour ces pathologies. » Pour autant, la solution prônée par les pouvoirs publics, à savoir l’ajout à la prescription d’un document précisant que l’ordonnance respecte les bonnes indications, sera source de tracas, et pour les pharmaciens et pour les médecins. « Si la prescription n’est pas délivrée parce que le médecin n’aura pas fait le boulot, à savoir remplir ce document, c’est problématique. Car c’est le pharmacien qui est en dernière ligne et qui devra expliquer au patient qu’il ne peut recevoir ses médicaments. Non seulement nous risquons des incivilités, mais aussi des risques d’indus de la caisse d’Assurance maladie », pense Pierre-Olivier Variot. « En agissant ainsi, on va rendre plus compliqué le travail du médecin, et s’il y a une erreur, alors il y aura des indus et le médecin sera tenu pour responsable, ce n’est pas acceptable », analyse pour sa part Franck Devulder.
D’autres solutions
Pourtant, il existe des solutions plus simples, qui permettent de respecter la bonne pertinence des prescriptions. « Il faudrait que les médecins prennent leur responsabilité et qu’ils notent sur l’ordonnance “Hors AMM” lorsqu’ils s’éloignent des indications d’un médicament, mais les médecins ne le font jamais. Il faudrait aussi que la caisse d’Assurance maladie fasse son boulot et aille voir si le médecin prescrit à bon escient », propose Pierre-Olivier Variot. « L’Ozempic est prescrit pour les diabétiques. Or, le diabète est considéré comme une affection de longue durée (ALD). Si le patient à qui l’on prescrit de l’Ozempic est en ALD, alors l’indication est la bonne et le médicament peut être délivré. S’il n’est pas en ALD alors le médicament n’est pas délivré. Pas besoin de remplir un document de plus pour respecter une bonne pertinence des actes », pense pour sa part Franck Devulder. Il attend beaucoup, également, de la prescription électronique : « Lorsque nous remplirons notre prescription, notre logiciel d’aide à la prescription nous proposera de cocher la case “Hors AMM”, en fonction des indications », assure-t-il. En attendant, le gouvernement ne semble pas l’entendre de cette oreille et est déterminé à faire passer cette mesure dans le PLFSS 2025 : « Malgré nos atermoiements, cet article 16 ne disparaîtra pas. Vu les prises de position de l’Assurance maladie et de la ministre de la Santé, cet article sera simplifié, mais il passera », pense Franck Devulder.
Source : https://www.univadis.fr/