Fraude sociale : des professionnels de santé contrôlés par les assurés.
Où en est-on de la lutte contre la fraude sociale ? Un récent rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), commandé en juin 2023 par l’ancienne Premier ministre Élisabeth Borne, fait le point sur cette question d’autant plus épineuse qu’elle intervient en plein débat à l’Assemblée nationale sur l’établissement du budget – serré – pour 2025. Ce rapport préconise, entre autres mesures, de renforcer le contrôle des professionnels de santé dans le domaine de la lutte contre la fraude sociale, en y impliquant les assurés, de mieux les former à la tarification – devenue très complexe –, mais aussi de mieux protéger les assurés des risques d’usurpation de leur identité, liée à des failles de cybersécurité.
Réduire les inégalités
En introduction, le Haut Conseil du financement de la protection sociale rappelle que « la France a choisi un modèle de société avec une protection sociale forte, donc beaucoup de redistribution, de prélèvements d’une part, de prestations ou allocations ». Un système qui « a notamment pour but de réduire les inégalités ». « Or l’équité de cette redistribution tient non seulement à l’équité des règles de droit qui gouvernent le système […], mais également à la capacité à faire respecter ses règles de droit. » Et c’est bien là tout l’enjeu de la lutte contre la fraude sociale « qui est une composante essentielle de la confiance de nos concitoyens dans le système de solidarité nationale que constitue la protection sociale », complète le Haut Conseil.
Pour lutter contre la fraude, il faut d’abord l’évaluer. C’est ce par quoi commence le rapport qui estime la fraude sociale à 13 milliards d’euros par an. Un chiffre qui représente un « potentiel théorique ». Les fraudes constatées et stoppées ne représentent que 2,1 milliards d’euros, comprenant 0,5 milliard de fraudes évitées avant le versement de la prestation. De son côté, le montant recouvré s’élève à 600 millions d’euros. Ces 13 milliards représentent 1,9 % de la masse des prestations versées chaque année.
La prévention des fraudes à la Sécurité sociale est « très certainement le point faible de la politique actuelle ».
1,71 milliard de fraude à l’Assurance maladie
Par grandes familles économiques, les entreprises et travailleurs indépendants contribuent à 56 % de la fraude, contre 34 % pour les assurés sociaux et 10 % pour les professionnels de santé. L’Urssaf est la principale victime de la fraude sociale. Les sommes indûment versées pour le revenu de solidarité active (RSA) s’élèvent à 1,54 milliard. Quant à l’Assurance maladie, le préjudice atteint 1,71 milliard pour dont 340 millions qui seraient imputables aux infirmiers libéraux, 200 millions aux kinésithérapeutes, 200 millions aux médecins généralistes et 180 millions aux spécialistes… La fraude estimée des transporteurs sanitaires serait de 16 millions d’euros et de 10 millions d’euros celle des pharmaciens. La prévention des fraudes à la Sécurité sociale est « très certainement le point faible de la politique actuelle », reconnaît le rapport, sachant que si la fraude estimée à l’Assurance maladie avoisinait les 2 milliards, le montant du recouvrement n’est que de 200 millions d’euros.
Un constat partagé par la Cour des comptes qui, en mai 2023, appelait à un « changement d’échelle », pour éviter la perte de « milliards d’euros » chaque année.
Contrôle des professionnels de santé par les assurés
Une fois le constat établi, le HCFiPS fait un certain nombre de recommandations pour renforcer la lutte contre la fraude. En ce qui concerne le secteur sanitaire, l’institution préconise « d’accompagner et responsabiliser assurés et professionnels de santé » par un « contrôle par l’assuré de la sincérité des déclarations des professionnels de santé ». Dans le secteur de la santé, la dématérialisation de la facturation des soins a conduit à abandonner le contrôle par l’assuré de la déclaration de l’acte réalisé. Exemple : « avant la mise en place des télétransmissions, l’assuré recevait une feuille de soins qu’il adressait à l’Assurance maladie : le processus de prescription était matérialisé et contrôlable par l’assuré, constate le Haut Conseil au financement de la protection sociale. Aujourd’hui, avec la télétransmission des feuilles de soins, la capacité des assurés à surveiller la dépense s’est fortement réduite : l’absence de trace “papier” lors des facturations rend complexe le décodage des actes réalisés, et suppose une consultation de son compte en ligne. » Par ailleurs, le tiers payant accroît cette absence de contrôle par l’assuré des prestations qui sont facturées à l’assurance maladie en son nom. Sans compter que la complexité de la tarification est un frein à la compréhension des sommes facturées par les professionnels de santé.
Pas question de revenir sur ces évolutions, par ailleurs, bénéfiques en termes de respect des droits des assurés, mais des améliorations vont être apportées. Ainsi, en 2025, « les assurés se verront notifier par push via un e-mail les frais facturés pour leur compte ».
Si cette démarche va dans le bon sens, le Haut Conseil déplore qu’« elle positionne néanmoins le contrôle en aval de la facturation ». De fait, il existe un « risque [...] non nul que beaucoup d’assurés n’attachent que peu d’attention à cette information ». « La réflexion pourrait donc aller au-delà, en remontant l’intervention de l’assuré au stade de la facturation : il s’agirait par exemple de travailler sur la possibilité d’imposer une signature électronique de l’assuré pour tout acte excédant un certain montant », stipule le HCFiPS.
Autre piste : mettre en place un système permettant à l’assuré de signaler des frais de santé pris en charge à tort
« Pour renforcer les outils de détection et la sanction des fraudes à l’assurance maladie, il appartient désormais de mieux repérer les facturations d’actes fictifs par certains professionnels de santé, qui se développent au détriment d’assurés dont le numéro de sécurité sociale est utilisé à des fins frauduleuses. Ces fraudes sont facilitées par le fait que les assurés n’ont plus systématiquement à faire d’avance de frais chez les professionnels de santé exerçant en ville depuis la généralisation du tiers payant.
La mesure permettra, fin 2024, à tous les assurés de signaler via leur compte Ameli toute facturation suspecte ayant donné lieu à remboursement de soins en leur nom. À compter de 2025, le dispositif sera complété par la notification aux assurés des frais de santé pris en charge en tiers payant et également les IJ subrogées versées aux employeurs. L’assuré, par sa vigilance accrue, deviendra ainsi un acteur de la lutte contre les fraudes. »
Former à la tarification
À la décharge des professionnels de santé, le Haut Conseil constate que le système de tarification est extrêmement complexe, donc pourvoyeur d’erreurs. En outre, de plus en plus de professionnels de santé sont formés à l’étranger et maîtrisent mal l’environnement institutionnel français, ce qui est là aussi source d’erreurs. À l’instar des infirmiers qui disposent d’un accompagnement à l’installation en libéral, les autres professionnels de santé pourraient être formés par l’Assurance maladie pour tout ce qui concerne les règles de facturation, la nomenclature générale des actes professionnels, etc., suggère le HCFiPS. « Cette formation pourrait sans doute être utilement couplée avec une formation à la déclaration de revenus et aux prélèvements sociaux associés, éléments auxquels les professionnels de santé sont également peu formés », ajoute le Haut Conseil.
Appliquer le tarif global dans les Ehpad
Autre proposition à même de réduire la fraude sociale de certains professionnels de santé : l’application du tarif global dans les Ehpad. Actuellement, la majorité des Ehpad appliquent le tarif partiel, ce qui implique que les dépenses des actes médicaux non compris dans le tarif (médicaments, kinés, transports, dispositifs médicaux) relèvent de l’enveloppe soins de ville et ne sont pas imputées aux Ehpad. Ces établissements ne « sont donc pas “intéressés” à intervenir dans l’activité des professionnels concernés, ce qui conduit à certaines dérives, dont certaines sont régulièrement pointées du doigt : des surcotations ou des cotations d’actes non réalisés par les kinésithérapeutes sont ainsi régulièrement dénoncées », note le HCFiPS. Le passage au tarif global, soit l’ensemble des prestations de soins imputés à l’Ehpad, permettrait d’éviter ces fraudes.
L’ordonnance électronique pour mettre fin aux fausses ordonnances
La réduction de la fraude dans le secteur sanitaire passe aussi par l’innovation numérique : il en va ainsi de l’ordonnance électronique qui « doit permettre de sécuriser la chaîne de prescription du médecin jusqu’au pharmacien ». « Pour l’Assurance maladie, le dispositif concourt à la sécurisation de la prescription avec une identification fiabilisée du prescripteur et du patient, un QR code garantit l’authenticité et rend impossible d’émettre de fausses ordonnances », note le HCFiPS.
Partage des données entre CNAM et MSA
Quoi qu’il en soit, le Haut Conseil se félicite des actions de lutte contre la fraude menée par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), notamment en direction des centres de santé et des audioprothésistes. À un point tel que la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) devrait en bénéficier : « Ce travail mérite d’être pleinement partagé avec la CCMSA, par exemple lorsqu’un professionnel de santé est déconventionné par une CPAM : il serait en effet paradoxal que des remboursements puissent se poursuivre au sein du régime agricole ». En revanche, le HCFiPS déplore que le contrôle des établissements de santé, suspendu au moment de la crise sanitaire, n’ait pas encore repris. « Comme le note la Cour des comptes, “les établissements de santé restent aujourd’hui la seule catégorie de bénéficiaires de prestations à ne faire l’objet d’aucun contrôle dans le cadre de la lutte contre les fraudes.” Ces contrôles devraient reprendre en 2024 », peut-on lire.
Source : https://www.univadis.fr/