Chemsex : un guide pour les professionnels de santé.
Alors que les dangers de la pratique du chemsex ont récemment fait la une de l’actualité, un guide « Aller vers les chemsexeurs » a été publié début novembre par la Fédération addiction et AIDES, qui en ont profité pour appeler à éviter « les généralisations hâtives » et « la stigmatisation des personnes concernées ».
Ce guide a pour objectif de permettre aux intervenants en santé sexuelle, aux professionnels de la prévention et aux médecins d’optimiser la prise en charge des chemsexeurs.
« Avec le chemsex, la France fait face à un problème de santé publique », estimait une proposition de résolution pour « une stratégie nationale de prévention sur le chemsex » déposée le 11 octobre dernier à l’Assemblée nationale.
Phénomène émergent depuis une dizaine d’années, cette pratique qui associe la consommation de substances psychoactives dans le cadre de rapports sexuels expose à des risques multifactoriels dont les plus évidents sont « la dépendance aux substances utilisées », « le risque de surdoses » ou des « comportements sexuels à haut risque », considère le Dr Grégory Emery, directeur général de la santé, dans la préface du guide « Aller vers les chemsexeurs ».
« Ce guide est bien fait de A à Z. Il montre l’importance capitale de la réduction des risques qui est un axe majeur de la prise en charge des chemsexeurs. Le guide donne aussi de nombreuses recommandations pratiques qui vont bien au-delà de la théorie scientifique et de la "super-expertise" », a commenté le Pr Laurent Karila, psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP), auprès de Medscape édition française.
Associer addictologie, santé communautaire, sexuelle, infectieuse et mentale
Ce guide est aussi l’aboutissement du projet ARPA-Chemsex qui a élaboré « une réponse globale associant les dimensions de santé sexuelle, addictions et santé mentale » tout en valorisant les initiatives locales.
La feuille de route 2021-2024 de la stratégie nationale de santé sexuelle s’appuie d’ailleurs sur ce projet, mais aussi sur le rapport « chemsex » produit en 2022 par le Pr Amine Benyamina.
Ce dernier proposait de créer « des structures pilotes dans toutes les régions, de former des gens, de miser sur des équipes multicompétentes (addictologie, sexologie, infectiologie…) », expliquait-il à Mediapart. Une recommandation que l’on retrouve dans le guide qui milite pour un accompagnement pluridisciplinaire des chemsexeurs pour mobiliser différents secteurs d’intervention : addictologie, santé communautaire, santé sexuelle et infectieuse, santé mentale, etc.
Cette approche est censée déboucher sur la création de réseaux dynamiques entre les différentes structures médico-sociales (CeGIDD, CSAPA, CAARUD), les associations communautaires et les médecins de premier recours.
« Accompagner seul un usager de chemsex n’est probablement pas efficient dans la grande majorité des cas. Cette activité de soins nécessite d’avoir un réseau lisible et accessible de différents professionnels et des structures ayant une approche communautaire », explique dans le guide la Pre Hélène Donnadieu, cheffe du service addictologie du CHU de Montpellier.
Les personnes pratiquant le chemsex font en effet face à « un double stigmate » vis-à-vis « de leur orientation sexuelle et leur sexualité », mais aussi de « leur consommation de produits », poursuit le guide. En raison du phénomène de double stigmatisation des chemsexeurs, le repérage des différents troubles et l’orientation vers des soins adaptés est parfois difficile.
« Le profil des patients est très différent. Certains ont des troubles psychiques (dépression, troubles anxieux, schizophrénie, etc.), d’autres une addiction aux nouveaux produits de synthèse (NPS) ou au GHB », indique le Dr Jean-Victor Blanc à Medscape édition française. Psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), il a ouvert il y a six ans une consultation de psychiatrie et d’addictologie spécialisée dans les troubles liés au chemsex.
Il constate que les trois quarts des patients qui consultent pour usage problématique du chemsex avaient un trouble psychique avant le début de la prise en charge. Il propose donc des soins « sur mesure », ce qui passe souvent par « une réduction ou un arrêt complet des substances », expliquait-il dans le média en ligne AOC . Quand les personnes ne souhaitent pas arrêter le chemsex, un accompagnement à la réduction des risques est proposé (vis-à-vis des IST, de l’injection, des surdoses…).
« La difficulté du diagnostic provient du fait qu’il existe différents modes d’entrée dans le chemsex : la consommation excessive de drogues, l’addiction au sexe, voire les deux. C’est pourquoi il est primordial de déterminer si le patient souffre d’une addiction au sexe », estimait dès 2018 dans MedscapeLaurent Karila. Six ans plus tard, le psychiatre de l’hôpital Paul-Brousse continue à interroger les chemsexeurs sur « les produits qu’ils consomment, leur mode de consommation, l’impact sur leur sexualité, etc. »
En fonction des réponses des patients, « il ne faut pas traiter uniquement les problèmes liés à la consommation de substances ou ceux liés à la sexualité, il faut proposer une approche globale », résume Laurent Karila, qui travaille en étroite collaboration avec des psychologues cliniciens, des infirmiers spécialisés en addictologie qui font du « renforcement motivationnel », des éducateurs spécialisés, etc.
Des stratégies de réduction des risques ajustées aux spécificités du chemsex
Les stratégies de prévention et de réduction des risques seront insuffisantes si on ne les inscrit pas dans une perspective de santé globale, confirme le guide : « Les pratiques associées au chemsex doivent être interrogées et les réponses n’appartiennent ni aux champs de la prévention sexuelle ni à la réduction des risques liés à l’usage de produits psychoactifs, mais aux deux de manière indissociable ».
La mise en place d’un accompagnement pluridisciplinaire nécessite donc de proposer des stratégies de réduction des risques ajustées aux spécificités du chemsex, « à savoir au fait de consommer des substances psychoactives en contexte sexuel », précise le guide. Il faudra par exemple apprendre aux chemsexeurs à évaluer leur consommation, à mieux connaître les produits qu’ils consomment (dosages, modes de consommation, effets recherchés, effets indésirables, etc.), mais aussi leur expliquer les interactions entre les produits consommés et d’éventuels traitements médicaux (antirétroviraux, antidépresseurs, anxiolytiques…).
Pour les aider à maîtriser leur consommation de produits, on pourra leur proposer de se fixer l’objectif suivant : « un nombre maximal de plans par mois, une quantité de produits consommée, une durée des plans, en y incluant des phases de repos et des pauses dans la consommation », détaille le guide. Les personnes pratiquant le chemsex devront aussi adapter leurs modes de consommation pour minimiser les risques. Il est important d’utiliser du matériel à usage unique, mais ils peuvent aussi recourir à des modes de consommation alternatifs tels que le plug anal, qui « présente moins de risque pour des effets ressentis proches ».
Cette prise en charge spécifique nécessite aussi d’adapter l’approche en santé sexuelle tout en tenant compte de la santé mentale des personnes pratiquant le chemsex, qui rencontrent régulièrement des problèmes psycho-pathologiques sévères. En fonction des études, la présence de niveaux modérés à sévères de dépression et/ou d’anxiété est constatée chez 12 à 29 % des personnes pratiquant le chemsex, avec un niveau de prévalence qui augmente progressivement avec le temps passé à pratiquer le chemsex, précise le guide.
D’où l’importance de repérer un éventuel trouble comportemental sexuel compulsif (ou une addiction sexuelle), explique Laurent Karila à Medscape édition française. Pour cela, il a recours au questionnaire PEACCE. À condition d’avoir éliminé au préalable un usage de substances psychoactives stimulantes (cocaïne, MDMA, méthamphétamine, cathinones de synthèse par exemple) ou de médicaments antiparkinsoniens.
« Certains diagnostics sont difficiles à poser, car les troubles psychiques sont souvent masqués par les consommations. Il faut s’aider des temps morts de consommation, se dire “on va sevrer les patients pour voir ce qui se passe durant le sevrage” », poursuit le psychiatre, qui conclut : « Si vous soignez des gens pour leur addiction aux substances psychoactives sans soigner en parallèle leurs problèmes psychiatriques, cela rechute sans cesse ».
Source : https://www.univadis.fr/ Medscape.fr.