Deux études révèlent les effets néfastes de la pollution atmosphérique sur le cerveau des enfants.
Plusieurs études ont établi un lien entre l’exposition à la pollution de l'air et un déclin des fonctions cognitives, ainsi qu’une incidence plus élevée de problèmes psychiatriques chez les enfants. Deux nouvelles études confirment l’effet délétère et durable de la pollution atmosphérique sur le développement cérébral.
Les données de l’Organisation mondiale de la santé montrent que la quasi-totalité de la population mondiale respire un air contenant des taux élevés de polluants. Plusieurs études ont établi un lien entre l’exposition à cette pollution et un déclin des fonctions cognitives, ainsi qu’une incidence plus élevée de problèmes psychiatriques chez les enfants. Deux nouvelles études, menée par l’Institut de Barcelone pour la santé mondiale (ISGlobal), confirment l’effet délétère et durable de la pollution atmosphérique sur le développement cérébral.
La pollution atmosphérique constitue l’un des plus grands risques environnementaux pour la santé. Les principales sources de pollution comprennent les activités industrielles, le traitement des déchets, le transport et l’agriculture. Toutes ces activités rejettent dans l’air des particules fines (PM2,5 et PM10), des oxydes d’azote et d’autres gaz très nocifs. En 2019, on estimait à plus de 4 millions le nombre de décès prématurés provoqués par la pollution de l’air dans le monde.
Ces décès résultaient de cardiopathies, d’accidents vasculaires cérébraux, de graves infections des voies respiratoires et de cancers du poumon. Le problème concerne le monde entier, en particulier les personnes qui vivent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Parce que leur fréquence respiratoire est plus élevée, les enfants sont eux aussi en première ligne. Sans compter le fait qu’ils sont en plein développement neurologique...
Des milliers d’enfants suivis par neuro-imagerie
Quelques études ont établi un lien entre la pollution atmosphérique et les différences de connectivité fonctionnelle des réseaux cérébraux chez les enfants. L’influence de l’exposition à la pollution de l’air sur le développement cérébral restait toutefois mal comprise.
Pour tenter d’éclaircir ces effets, une équipe de l’Institut de Barcelone pour la santé mondiale (ISGlobal) a examiné les images cérébrales de plus de 3600 enfants plus ou moins exposés aux particules fines et aux oxydes d’azote. Ces enfants provenaient de l’étude de cohorte néerlandaise « Generation R ».
Les chercheurs ont estimé l’exposition à la pollution atmosphérique des participants à l’aide de modèles statistiques. Ceux-ci combinaient des mesures réelles et des caractéristiques environnementales. Ils ont considéré deux périodes : de la naissance à trois ans, puis l’année précédant la première évaluation par neuro-imagerie.
Ils ont évalué la connectivité cérébrale fonctionnelle des enfants à la fois entre et au sein de 13 réseaux corticaux. Ces réseaux sont des structures cérébrales interconnectées qui travaillent ensemble pour exécuter différentes fonctions cognitives. Les chercheurs ont également examiné trois régions sous-corticales : l’amygdale, l’hippocampe et le noyau caudé. Toutes jouent des rôles très importants. L'amygdale est responsable du traitement des émotions et du déclenchement des réactions de survie. L’hippocampe sert à la formation de la mémoire et de l’orientation spatiale. Le noyau caudé est impliqué dans la régulation des mouvements, la mémoire et la prise de décision.
Les scans cérébraux ont été réalisés alors que les enfants n’effectuaient aucune tâche active (leur cerveau était au repos), à deux moments de leur vie : à 10 et 14 ans en moyenne.
Un manque de connexions qui pourraient affecter certaines fonctions cognitives
Les résultats, publiés dans Environment International, mettent en évidence l’impact potentiel d’une exposition précoce à la pollution atmosphérique. La recherche a montré une réduction notable de la connectivité fonctionnelle dans et entre des régions clés du cerveau.
Plus précisément, une exposition plus importante aux PM2,5 de la naissance à 3 ans était associée à une connectivité plus faible entre l’amygdale et le réseau ventral de l’attention. Ce réseau est le « radar » du cerveau, et redirige notre attention en cas de stimuli soudains et inattendus. Même constat pour la connectivité entre l’amygdale, le réseau somatomoteur (qui coordonne les mouvements) et le réseau auditif.
De même, une exposition plus élevée aux PM10 au cours de l’année précédant la première évaluation par imagerie était associée à des altérations de la connectivité entre les réseaux de saillance et médio-pariétal. Le premier aide à distinguer parmi une multitude de stimuli ceux qui sont dignes d’attention. Le second est responsable de l’introspection et de la perception de soi.
« Ces associations persistent tout au long de l’adolescence, ce qui pourrait indiquer des perturbations durables dans le développement normal des réseaux cérébraux dues à l’exposition à la pollution. Cela pourrait affecter le traitement des émotions et les fonctions cognitives », explique Mònica Guxens, enseignante-chercheuse à l’ISGlobal et auteure principale de l’étude.
Elle précise que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer ces résultats. Elles aideront aussi à comprendre les implications fonctionnelles exactes des perturbations observées dans la connectivité fonctionnelle entre les réseaux.
Un « rattrapage » de croissance de l’hippocampe
La baisse de connectivité cérébrale ne serait pas le seul changement anatomique résultant de la pollution de l’air. En effet, la même équipe de chercheurs a examiné la relation entre l’exposition à la pollution pendant la grossesse et l’enfance, et l’évolution des volumes cérébraux de l’enfance à l’adolescence.
Leur étude repose sur les données d’IRM cérébrale de 4243 enfants issus de la même cohorte néerlandaise. Ces images avaient été réalisées entre 6 et 10 ans, 8 et 12 ans, puis 12 et 17 ans. Les chercheurs disposaient au total de 6059 scanners des substances blanche et grise, du cervelet et de sept volumes sous-corticaux.
Ils ont considéré 14 polluants différents, afin de couvrir un large éventail de sources d’émissions liées au trafic routier. L’exposition médiane pendant la grossesse était de 26,7 μg/m³ pour les PM10 et 16,8 μg/m³ pour les PM2,5. Elles atteignaient 34,1 μg/m³ pour le dioxyde d'azote (NO2). Les concentrations moyennes étaient similaires pour l’exposition pendant l’enfance.
Les résultats n'ont indiqué aucune association entre l’exposition à la pollution atmosphérique et les changements de volumes de matière blanche ou grise et du cervelet. En revanche, une exposition plus élevée au cuivre et aux particules fines (PM2,5) pendant la grossesse entraînait un volume plus faible de l’hippocampe à l’âge de 8 ans. Or, cette structure cérébrale est essentielle à la formation de la mémoire et à l’apprentissage spatial.
C’est du moins ce que l’équipe a observé sur les premières évaluations par neuro-imagerie. Mais lorsqu’ils ont analysé les scans suivants, ils ont remarqué une « croissance compensatoire » de l’hippocampe. Celle-ci était fonction du taux d’exposition aux polluants au fil des ans. Ainsi, la plasticité de l’hippocampe pourrait atténuer les effets néfastes de la pollution atmosphérique au début de la vie.
Réduire les niveaux de pollution pour limiter les dommages
L’équipe propose deux hypothèses pour expliquer ce rattrapage de croissance. Premièrement, l’effet de la pollution pourrait s’atténuer avec l’âge, de par la présence croissante d’autres facteurs influençant le développement neurologique. Le cerveau pourrait aussi simplement devenir plus résistant aux effets nocifs de la pollution atmosphérique avec l’âge. Des études supplémentaires sont nécessaires pour expliquer le phénomène.
Pour le moment, les résultats de ces deux études soulignent l’impact potentiel à long terme de l’exposition à la pollution atmosphérique au début de vie sur la connectivité et le développement du cerveau. Et ce, dès la vie in utero ! Des recherches ont montré en effet que les polluants traversent le placenta et altèrent son fonctionnement pendant la grossesse. Ces altérations pourraient avoir un impact sur le neurodéveloppement du fœtus.
Certaines structures cérébrales semblent être capables de se rétablir des effets néfastes de la pollution. Ce n’est cependant pas le cas pour l’ensemble du cerveau. « Si certaines régions du cerveau peuvent présenter une croissance compensatoire, les perturbations persistantes observées dans les réseaux fonctionnels soulignent la nécessité de poursuivre les recherches sur les mécanismes à l’origine de ces changements », souligne Michelle Kusters, chercheuse à l’ISGlobal et première auteure de l’étude.
Source : https://www.science-et-vie.com/
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