ESCMID 2025 – Comment comprendre les risques de maladies infectieuses dans un climat en mutation ?
VIENNE — Le changement climatique constitue, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la principale menace pour la santé publique au cours du siècle à venir. Ce thème a été au cœur de plusieurs échanges avec des experts de premier plan lors du Congrès européen de microbiologie clinique et des maladies infectieuses (Congress of the European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases, ESCMID), qui s’est tenu à Vienne, en Autriche, du 11 au 15 avril.
Lors de l’un de ces échanges, la Dre Rachel Lowe (chercheuse et professeure à l’Institut catalan de recherche et d’études avancées, également responsable du groupe Résilience en santé mondiale) et la Dre Kimberly Fornace (épidémiologiste et professeure associée à l’École de santé publique Saw Swee Hock de l’Université nationale de Singapour) ont présenté les initiatives pionnières de leurs groupes de recherche en matière de surveillance climatique. Ces initiatives visent à intégrer les données climatiques dans des outils d’aide à la décision en santé publique à l’échelle mondiale, afin d’améliorer la préparation et la capacité de réponse face aux épidémies et aux urgences liées aux maladies sensibles au changement climatique.
Lors de son intervention, la Dre Lowe a mis en garde contre le fait que la moitié de la population mondiale est actuellement exposée au risque de contracter une maladie transmise par les moustiques – une conséquence directe du changement climatique, et plus particulièrement de la hausse des températures. Elle coordonne 2 projets majeurs, baptisés Harmonize et IDExtremes, dont l’objectif est de fournir des données fiables et des outils de modélisation afin de renforcer la résilience locale face à la menace des maladies infectieuses émergentes dans les zones sensibles au changement climatique.
Dans le cadre du projet Harmonize, son équipe a récemment publié un cadre de processus pour l’harmonisation des données, ainsi qu’une bibliothèque destinée aux logiciels de statistiques R et Python. Celle-ci propose des méthodes statistiques robustes, des outils de visualisation des données et de modélisation prédictive afin de relever les défis complexes de ce domaine. Elle coordonne également le projet européen IDAlert, qui vise à répondre à l’émergence des maladies zoonotiques en développant de nouveaux indicateurs et des systèmes d’alerte précoce.
L’ensemble de ces outils d’information peut influencer les stratégies de santé publique de différentes manières, par :
- la création de fonds de compensation pour les personnes touchées par les pertes et dommages liés aux catastrophes naturelles associées au changement climatique ;
- la mise en place de systèmes de préparation et de réponse face à ces catastrophes ;
- l’évaluation des interventions.
Ces actions combinées favoriseront l’adaptation aux nouvelles réalités climatiques. Des équipes comme la sienne jouent un rôle clé dans la coordination des différents acteurs à l’échelle mondiale.
Parmi les exemples présentés au cours de son intervention, la Dre Lowe met l’accent sur plusieurs axes d’action. Elle souligne tout d’abord l’importance de détecter de nouvelles régions en Europe où la réintroduction et la transmission du paludisme pourraient redevenir possibles en raison de la réapparition du moustique vecteur. Un phénomène similaire est observé avec la dengue : les zones à risque se sont étendues à des régions traditionnellement très froides, comme le nord du Vietnam. Fait surprenant, une augmentation du risque de dengue a été observée après des périodes de sécheresse, ce qui semble aller à l’encontre de l’idée généralement admise selon laquelle les épidémies sont associées aux périodes les plus humides. Cette observation a été attribuée à l’accumulation d’eau dans les habitations, une réponse fréquente aux situations de sécheresse.
La surveillance des variations de température dans les zones les plus sensibles a permis d’établir que ce n’est pas la sécheresse à elle seule qui entraîne la réémergence du vecteur de la dengue, mais plutôt une sécheresse suivie d’une période chaude, puis d’une période humide. Une sécheresse suivie d’une période fraîche, puis d’une nouvelle sécheresse, correspondrait à une configuration climatique à faible risque de déclenchement d’une épidémie de dengue.
À partir de ces données, des cartes de risque sont élaborées afin d’attribuer un niveau d’alerte à chaque région, ce qui permet de planifier les actions à mettre en œuvre en fonction du contexte : surveillance de routine, préparation à une épidémie ou déclenchement d’une alerte active. C’est précisément ce qui a été mis en œuvre en collaboration avec le gouvernement brésilien, car des niveaux de dengue sans précédent ont été enregistrés l’an dernier au Brésil, représentant un immense défi pour la santé publique.
Plus près de nous, en Europe, la plateforme EpiOutlook est présentée comme un cadre de travail destiné à évaluer le risque de transmission et/ou d’émergence d’un large éventail de maladies infectieuses, en lien avec leurs agents pathogènes et vecteurs de transmission respectifs. Elle sera appliquée à la surveillance du paludisme, de la leishmaniose, des maladies transmises par les tiques des genres Ixodes et Hyalomma, des infections à Vibrio autres que le choléra, du virus du Nil occidental, ainsi que des arbovirus tels que la dengue, le Zika et le chikungunya.
De son côté, la Dre Fornace s’attache à expliquer plus en détail comment les variations de température et de précipitations influencent les moustiques en tant que vecteurs de maladies, tout en soulignant qu’elles ont également un impact sur d’autres aspects de l’activité humaine, tels que l’agriculture et les infrastructures. Concernant les moustiques, la température favorise leur survie jusqu’à un certain seuil optimal, au-delà duquel une hausse supplémentaire commence à réduire leur population. Leur tolérance à l’augmentation des précipitations est plus élevée, mais, là encore, un excès de pluies torrentielles finit par entraver le développement des larves et des réservoirs.
Un autre changement d’origine anthropique lié au climat abordé est la perte de la surface forestière à l’échelle mondiale. Les modifications de l’usage des terres, comme l’extension des zones agricoles ou des plantations, influent également sur les comportements des animaux : leur manière de chercher de la nourriture, leur proximité avec les humains… Ce rapprochement modifie ainsi leurs interactions avec les populations et augmente les risques de transmission de maladies.
Comment ces changements sont-ils surveillés et mis en relation avec les cycles de transmission des maladies ?
Ces changements sont principalement surveillés grâce aux données satellitaires sur la surface terrestre, dont la quantité et la qualité ont augmenté de façon exponentielle ces dernières années. Les outils utilisés sont principalement les drones et les satellites. Les premiers offrent l’avantage d’une grande flexibilité et d’une très haute résolution d’image, mais leur capacité à couvrir de vastes surfaces reste limitée. Les satellites, quant à eux, permettent une observation globale de la planète, mais à une résolution beaucoup plus faible et avec une fréquence d’acquisition limitée – il peut parfois s’écouler plusieurs semaines entre 2 prises d’image d’une même zone. Ces informations sont intégrées dans des modèles qui visent à prédire l’impact des changements de la surface terrestre sur les maladies infectieuses.
Comme il fallait s’y attendre, l’intelligence artificielle (comme ChatGPT) est en cours d’intégration dans ces modèles afin de les améliorer, en particulier pour l’identification d’éléments précis au sein des images, tels que les étendues d’eau ou les zones d’habitation humaine.
Les 2 chercheuses s’accordent dans leurs conclusions sur le fait que l’objectif de toutes ces initiatives n’est pas seulement de comprendre les risques, mais de concevoir des outils de surveillance permettant de faire évoluer les politiques de santé publique, en passant d’une logique de réponse réactive à une approche de prévention prédictive.
Source : https://www.univadis.fr/