Une médiation pour mettre un terme au conflit ouvert entre infirmiers du Smur et des urgences.
Violences verbales entre agents des deux services, invectives sur les réseaux sociaux ou arrêts maladie causés par les tensions ou le mal-être au travail : le projet de réorganisation des services du Smur et des urgences du CHU de Saint-Denis a fait imploser l'équipe en place. Le plan dit d'harmonisation des services a été interrompu suite à un préavis de grève de l'Unsa pour laisser place à une période de médiation et un temps d'écoute des personnels concernés.
L’affaire est remontée jusqu’au bureau d’Huguette Bello à la Pyramide inversée. La présidente de Région a reçu des représentants des infirmiers du Smur, avant de faire part des inquiétudes des agents à Lionel Calenge, le directeur général du CHU.
Tout est parti d’une présentation en grande pompe, le 11 avril dernier dans l’amphithéâtre de l’hôpital Felix-Guyon en présence des personnels concernés, dont une quarantaine de médecins, d’un projet de réorganisation du fonctionnement du pôle Urgences Médecine.
A la manœuvre, le chef de service des urgences du CHU, le docteur Frédéric Nativel, qui entend faire passer son « projet d’harmonisation » du fonctionnement du Smur et des urgences. En jeu : instaurer une rotation totale entre les infirmiers des deux services. Depuis la mise en place en 2010 d’un système de mutualisation des deux services, une partie des infirmiers du Smur (8 sur 21 au total) est affectée aux urgences (32 infirmiers) pendant 50% de son temps de travail.
Une rotation jusqu’ici basée sur le volontariat, mais que la nouvelle réforme veut imposer à tous. « Le calendrier était très serré et il fallait que Frédéric Nativel trouve l’accord des infirmiers pour le faire passer d’abord au CSE, puis au conseil de surveillance de l’établissement présidé par Huguette Bello . Il était obligé d’avoir l’adhésion d’une majorité des infirmiers pour le faire valider », rapporte un infirmier du Smur.
Selon lui, ce n’est en réalité pas l’adoption de la réforme qui est mise au vote ce jour-là, mais son mode de fonctionnement. En clair, tout se serait passé comme si le projet d’harmonisation était accepté de fait, les agents n’ayant plus que le choix de décider du mode d’alternance à appliquer : vacation au jour, à la quinzaine ou au mois.
La direction du CHU contrainte de réagir
Si les infirmiers des deux services pratiquent de nombreux actes similaires, ceux du Smur (Structure mobiles d’urgence et de réanimation) interviennent principalement en extérieur dans des conditions parfois difficiles, voire hostiles. Les opposants à la mutualisation totale arguent notamment de certaines spécificités du Smur comme le transport néonatal ou en hélicoptère, et du fait que pour être efficaces dans leurs interventions, ils se doivent de les pratiquer régulièrement.
Le fait d’être affecté à 50% de son temps de travail aux urgences réduirait ainsi mécaniquement l’exercice d’actes précieux pour sauver des vies. Les infirmiers postés à 100% au Smur estiment que cette mutualisation des services qui ne dit pas son nom aurait une visée plus terre à terre : ne plus laisser les infirmiers désoeuvrés en dehors de leurs interventions sur le terrain.
« Les gens du Smur, quand ils ne sont pas en intervention, ils ont du boulot dans leurs locaux : ils doivent préparer les véhicules, faire des commandes de matériel, tester les appareils, préparer les Evasan… On ne peut pas dire qu’ils sont en train de ne rien faire », proteste Sanel Hamzic, infirmier-anesthésiste et syndicaliste de l’Unsa santé.
C’est son syndicat qui a provoqué la mise en pause du projet de réorganisation en déposant un préavis de grève, contraignant ainsi la direction du CHU à recevoir les représentants du personnel et à se positionner par rapport à la mutualisation totale voulue par le docteur Frédéric Nativel. Un préavis motivé selon l’Unsa par les tensions, violences verbales et prises à partie sur les réseaux sociaux ayant abouti à des « alertes envoyées à plusieurs instances comme la cellule de prévention et de traitement des situations de violence, la médecine du travail, ou la commission des usagers ».
Confrontée aux situations de mal-être ou de dépression d’agents des deux services, la direction du CHU Félix-Guyon a rouvert le dialogue entre les personnels en instaurant en novembre un processus de médiation, unanimement salué depuis pour la qualité d’écoute offerte par les deux intervenants extérieurs à l’établissement désignés pour mener les échanges.
Pour Sanel Hamzic, qui se refuse à commenter le fonds du projet de réorganisation, c’est la méthode employée qui a conduit à la situation de crise interne actuelle. Le syndicaliste pointe toutefois ce qui constituerait le cœur même du projet : privilégier une hyper polyvalence des infirmiers, au détriment d’une hyper spécialité.
« La polyvalence, c’est un peu le fantasme de toutes les directions. En termes de RH, c’est vrai que c’est la situation idéale. Cela peut être bien si c’est demandé par l’agent, si ce n’est pas subi. Dans un secteur ou tous les gestes sont millimétrés, l’hyper spécialité veut qu’on soit hyper spécialisé. Le fait de moins pratiquer, pour les Smuristes, risque d’affecter leurs compétences », poursuit le syndicaliste.
« On est des docteurs avant tout »
« Tout le monde veut une sortie de crise », tempère le docteur Fabien Vaniet, chef de pôle Urgences médecine nord au CHU. « Il y a une violence verbale qui fait mal. A un moment donné il faut qu’on retrouve un climat apaisé. Finalement, l’hôpital public cela reste une entreprise avec des humains, on n’échappe pas à une résistance naturelle au changement, avec une vision à géométrie variable entre les intérêts collectifs et individuels. »
Fabien Vaniet , qui soutient le projet de son confrère Frédéric Nativel, considère qu’il s’agit avant tout d’une mauvaise interprétation de la part des infirmiers du Smur. « On est des docteurs avant tout, pas des managers, la meilleure idée peut être perçue de façon différente. La fiche de poste des gens du Smur dit actuellement qu’en cas de possibilité, on doit aider aux urgences. Mais le projet de mutualisation dit que lorsqu’on est au Smur, on ne fait que du Smur », relève le chef de pôle.
Le médecin conteste l’argument des spécificités différentes entre infirmiers du Smur et des urgences, et assure qu’il a « combattu toute [sa] vie » les préjugés élitistes. « Notre mission, c’est bien de voir des gens : l’infirmier 100% Smur voit 10 fois moins de malades que des infirmiers 100% urgences. Si le but est de voir le plus grand nombre de malades, alors cet argument de la répétition des gestes ne tient pas », avance Fabien Vaniet, en indiquant qu’il est lui-même amené à intervenir indistinctement dans les deux services.
Selon lui, la réorganisation doit en outre permettre de « limiter la fuite des personnels des urgences », dont la durée de vie au sein du service serait très courte, en raison de la pénibilité du travail.
Reste à panser les plaies de ce conflit qui, au regard de l’analyse rendue au terme de la première phase de la médiation, semblent profondes : « perte de confiance prégnante », « mal-être croissant » exprimé par « tous les personnels rencontrés » ou « craintes de comportements porteurs de risques pour les patients » figurent parmi les menaces au bon fonctionnement des services identifiées par les médiateurs. Ces derniers proposent, du reste, la tenue, en leur présence, d’une rencontre entre les infirmiers du Smur et de leurs chefs de service.
Source : https://www.zinfos974.com/ TL