Chikungunya : une progression rapide des cas et un premier pic épidémique attendu fin avril.
Alors que le chikungunya progresse rapidement à La Réunion avec plus de 8.600 cas et deux décès depuis janvier 2025, des personnes assurent avoir contracté le virus une seconde fois après l'épidémie de 2005-2006. Des affirmations que les experts jugent peu probable, mais qui interroge sur l’immunité et la stratégie vaccinale. En effet, en attendant le début de la campagne vaccinale, un premier pic épidémique est attendu entre le milieu et la fin du mois d'avril
Alors que le nombre de cas ne cesse de croître, deux décès liés au chikungunya ont été confirmés par la préfecture, concernant deux personnes âgées de 86 et 96 ans, dont une souffrant de comorbidités.
Les autorités assurent néanmoins que le nombre de cas graves reste moins important qu'en 2005, lors de la précédente épidémie qui a profondément marqué l'île. Une thèse que soutient Patrick Mavingui, directeur de recherches au CNRS à l’université de La Réunion, même s'il se montre prudent.
"Pour comparer les époques, il faudrait comparer le nombre de personnes atteintes par le chikungunya qui avaient des comorbidités il y a 20 ans. Et le rapporter au nombre depuis août 2024. Aujourd’hui, il y a moins d’hospitalisations mais il faut rester prudent", indique le chercheur qui considère que l'augmentation du nombre de contaminations permettra d'y voir plus clair prochainement.
- Un virus en mutation -
Concernant la souche en circulation, les experts s’accordent à dire que le virus actuel est une souche issue de la même lignée ECSA (East Central South Africa) que celle de 2005-2006, mais avec des mutations spécifiques.
"Le virus qui circule aujourd’hui fait partie d'un sous-groupe d'ECSA mais possède néanmoins une mutation identique à celle de 2005, ce qui expliquerait pourquoi le moustique tigre le transmet toujours aussi efficacement", explique-t-il.
Cette adaptation du virus pourrait expliquer la rapidité de propagation observée ces dernières semaines. "On teste cela en laboratoire, on aura la réponse avant la fin du mois", ajoute le chercheur.
En attendant, face à une situation sanitaire qui s'aggrave, une question émerge : peut-on contracter le chikungunya une seconde fois ? Plusieurs personnes actuellement touchées par le virus affirment l’avoir déjà eu en 2005.
- Consensus scientifique autour de l'immunité -
Une hypothèse que les scientifiques accueillent avec prudence pour ne pas dire méfiance. Selon Xavier de Paris, directeur de la veille sanitaire à l’ARS, les études montrent qu’une infection par le chikungunya confère une immunité à vie. "On ne contracte pas deux fois la maladie", affirme-t-il.
Mais alors comment expliquer ces suspicions de réinfection ? Patrick Mavingui nuance cette certitude. "À notre connaissance, il n’est jamais arrivé qu’une personne l’ayant contracté il y a 20 ans l’attrape à nouveau, mais ce n’est pas exclu à 100 % sur des personnes immunodéprimées", souligne-t-il.
Il rappelle que de rares cas documentés de réinfection ont été observés en Inde chez des patients au système immunitaire affaibli. Néanmoins, Xavier de Paris attend toujours des preuves scientifiques pour affirmer quoi que ce soit à La Réunion.
"Le taux de positivité dans les laboratoires est actuellement de 60%, ajoute le directeur de la veille sanitaire à l'ARS. Ce qui signifie que le diagnostic initial n'est pas le bon 4 fois sur 10. D'où l'intérêt de se faire tester pour être certain", conclut Xavier de Paris.
"En 2005 et 2006, tout le monde n’était pas diagnostiqué et n’a pas fait la sérologie. Pour dire 'je l’ai eu et je l’ai à nouveau', il faut des preuves biologiques donc des analyses", complète Patrick Mavingui.
- Une immunité collective insuffisante à La Réunion -
Si une infection par le chikungunya semble protéger durablement contre une nouvelle contamination, le niveau d’immunité collective reste aujourd’hui insuffisant pour stopper la progression de l’épidémie.
Les autorités sanitaires, qui se basent sur une étude du CNRS de Marseille, estiment qu’environ 20 % de la population réunionnaise est immunisée, soit les personnes ayant contracté le virus en 2005-2006 et résidant toujours sur l’île.
"Pour atteindre une immunité collective suffisante, il faudrait qu’entre 40 et 50 % de la population soit immunisée", indique Patrick Mavingui. Ce niveau est encore loin d’être atteint, ce qui rend la vaccination essentielle pour contrôler l’épidémie.
- Une vaccination ciblée mais limitée -
La Haute Autorité de Santé (HAS) recommande la vaccination avec le vaccin IXCHIQ, en priorité pour les personnes à risque de formes graves. Sont concernés les plus de 65 ans, les personnes de 18 à 64 ans présentant des comorbidités (diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires ou respiratoires) et les professionnels de la lutte antivectorielle.
Pour le reste de la population souhaitant se faire vacciner, il faut passer par son médecin traitant. Le prix du vaccin est actuellement variable selon les pharmacies, à leur bon vouloir : à Saint-Denis, il est proposé autour de 250 euros, tandis que Patrick Mavingui dit l’avoir payé 167 euros dans une pharmacie au Port.
Dans les pharmacies justement, aucune ruée sur les produits anti-moustiques n’a été constatée mais les pharmaciens font état d’une forte demande de renseignements sur le vaccin.
Il faut dire que l'efficacité d'IXCHIQ est estimée à 98,2 %. Seule une infime minorité de personnes pourrait donc ne pas générer une réponse immunitaire suffisante. "Comme pour chaque vaccin, sur 100 personnes vaccinées, il est possible qu'une ou deux ne développent pas d’anticorps neutralisants assez efficaces", précise Patrick Mavingui.
- Une épidémie loin d’être maîtrisée -
En attendant les effets de la campagne de vaccination qui doit débuter mi-avril avec 40.000 doses gratuites destinées aux personnes cibles, et face à l'immunité collectivité relativement faible, l’épidémie pourrait encore s’aggraver dans les prochaines semaines.
Les projections de l’Institut Pasteur, basées sur l’évolution de la précédente épidémie de 2005-2006, anticipent un pic épidémique entre mi-avril et fin avril. Mais un second pic reste possible, en fonction du rythme de la campagne vaccinale.
"Plus on vaccinera vite, plus on atteindra rapidement une immunité collective suffisante", insiste Patrick Mavingui.
Pour l'heure, afin de limiter la propagation, les autorités sanitaires appellent la population à se protéger en adoptant les mesures de prévention classiques : port de vêtements couvrants, utilisation de répulsifs et destruction des gîtes larvaires.
Source : ARS